Week-end culturel en bord de Loire. N°537
Écrit par D.D sur 4 juillet 2012
La dernière nuit de Troie – Histoire et violence autour de la Mort de Priam de Pierre Guérin. C’est le thème de l’exposition qui se tient tout l’été au Musée d’Angers. A voir. Mais au préalable, je repositionne mon propos. L’année dernière, nous profitions d’un passage au marché de la poésie de Rochefort sur Loire pour aller flâner dans Angers, belle ville des bords de fleuve comme chacun sait. Voir la Chronique de l’époque. Cette année-ci, encore, conjuguer en un même week end, le marché de la poésie et le musée qui affiche et présente la Mort de Priam, est-ce passer du coq à l’âne ou d’une rive à l’autre comme se franchit un pont sur la Loire ? Quel point commun ? Point commun: Homère.
Dans les deux cas de figure, c’est un pont cet Homère. Pont entre deux arts. Pont entre l’hier et l’aujourd’hui. Les peintres s’inspirent de la mythologie, disent les observateurs. Dit plus clairement, les peintres s’inspirent souvent des poètes. Pourquoi ? Parce que ceux-ci disent le monde, le monde et l’être, bien avant tout le monde, m’a-t-on dit. Les poètes disent ce que l’on ne perçoit pas encore. Ou peu, ou mal. Que l’on ne perçoit pas parce que l’homme est distrait, dit Marcel Conche.
Dès mon retour d’Angers, et de cette visite et de ce marché, de la lecture entendue à ce marché et des discussions avec la poétesse Edith Azam samedi soir à table; de retour des bords de Loire, donc tout de suite, je me suis mis à vadrouiller à la recherche de ce qu’en dit Marcel Conche de cette combinaison entre poésie et art, condition humaine et philosophie. A partir d’Homère.
Bilan de mes petites vadrouilles d’un livre à l’autre. On se réchauffe comme on peut, il fait un temps de déprime pour un début d’été espéré torride. Alors qu’en dit Conche (Présence de la nature): le poète est comme« celui qui, en marge ou au-delà des temps humains, est à l’écoute de l’éternité »; « Le Poème, en dévoilant les êtres en leur être, le monde en son être-là… instaure l’éclaircie qui est aussi le lien que la pensée habite. Car, la lumière de l’éclaircie, où les choses se montrent elles-mêmes, est la lumière de la vérité, celle dont nul, selon Héraclite, ne peut se cacher » ; « Le poète a vu, entendu ce qu’il a décrit. Il a entendu les chants des cigales… il a vu les guêpes, a observé le vol des oiseaux, a ouï les cris des grues ; la nature lui donne l’idée de l’innombrable, de l’infini » ; « L’affrontement guerrier n’existe que par une sorte d’aliénation de l’être humain. Celui-ci, de sang-froid, préfère la paix et ses bienfaits. Si la force tranquille qui est en lui devient agressive et avide de sang et de massacre, c’est par le fait d’une influence étrangère, en dernière analyse celle des Dieux »
Voilà, massacre et carnage. Nous y sommes. L’aliénation de l’être humain, oui c’est bien le thème de l’expo temporaire de l’été du Musée des Beaux Arts d’Angers. La dernière nuit de Troie – Histoire et violence autour de la Mort de Priam. Le peintre Pierre Guérin illustre la dévastation de Troie par les grecs. Dans l’histoire de la peinture c’est l’annonce de la fin du néoclassicisme et l’apparition du romantisme, soit de tout un mouvement esthétique, celui des peintres romantiques qui s’engouffrera dans la mise en image de cette énergie qui s’exprime soit dans les grandes et belles actions soit dans la guerre, les massacres. Pas en reste, la manière de mettre en scène par le musée, se veut en phase : le rouge feu, le rouge sang éclate de partout.
Ah! je précise deux points au passage. Le premier, la visite du Musée des Beaux Arts ne s’arrête pas là. Il y a l’expo permanente. Dans ces salles en sous-sol. « Creuset, énergie qui sort des choses, fusion, source tellurique » c’est ainsi que Françoise de Lieux-dits qualifie ce lieu sur plusieurs niveaux. Elle a raison: écoles italienne, flamande, hollandaise et française, Fragonard, Boucher, Chardin, Watteau, Ingres, sont là. Le second, la Visite-plaisir. Prix du billet pour l’ensemble de la visite au musée? 6 €. Durée? Le temps qu’on veut. Evasion garantie. Calme assuré. Qualité? Le top. Pas beau ça? Mais revenons à La Mort de Priam.
Mais quittons la peinture, retour à la poésie. Quittons le musée, retour à l’autre rive. Franchissons-en le pont. Risquons le trajet en sens inverse. Que signifie-t-elle cette mort? Pour Conche l’Iliade est l’histoire d’un déchirement de l’âme humaine, tout homme pouvant s’y reconnaître. L’ « avenir grec » de la pensée est l’horizon insurpassable de l’aventure humaine. Pour Castoriadis (Ce qui fait la Grèce), il y a au coeur de l’Iliade, l’expérience de la donnée incontournable qu’est la mort, « donnée sans compromis, sans consolation, sans aménagement, sans adultération, sans édulcoration » « La vie ne revient pas… » Pour Jean-Pierre Vernant, la mort vient ici illustrer la finitude dans l’univers grec de l’époque. Selon lui, on peut ainsi noter deux types de mort. La première mort, « qui tombe en héros sur le champ de bataille, emporté par le glaive de l’ennemi, semble vouer la dépouille à une éternelle préservation ; la seconde, au contraire, est celle de la male mort, l’image de Priam, vieillard déchiqueté et émasculé par ses propres chiens, du cadavre méconnaissable, sans nom et sans identité, anonyme, répugnant, du corps démembré et laissé pourrir au soleil. » Lire cet hommage à Jean-Pierre Vernant qui parle ainsi de la Mort de Priam. Fort instructif.
Et voilà comme on passe un bon quoique court moment culturel en bord de Loire !
D.D
Françoise Sur 5 juillet 2012 à 7 h 55 min
Et je repasse un autre pont, celui sur le Louet qui me ramène à Edith Azam.
« aliénation de l’être humain » dis-tu dans la chronique.
Résidence de poète. Rochefort-sur-Loire. L’école de Rochefort-sur-Loire. René Guy Cadou. Rochefort-sur-Loire et ses coteaux de l’Aubance sur lesquels mon père s’écrasa en avion juste après-guerre, une autre guerre, mais c’est une autre histoire.
Résidence de poète donc, financée par le CNL mais organisée par le maire : « Vous devez 70% de votre temps à la commune, donc vous FEREZ tant d’heures à l’asile psychiatrique et tant d’heures à la prison »
Et le voilà le poète, la voilà la petite grande Edith qui prend son balluchon, toute seule :
-Toc toc, à la prison, « c’est moi Edith »
-Toc toc chez les fous, « c’est moi Edith… »
Quel rapport avec la chronique ? Selon ma formule : « Aucun. Le mien ». Ou bien, si, Marcel Conche que tu cites :… « le poète en marge ou au-delà des temps humains »…
« En marge ou au-delà »: La prison et l’asile. Là où l’aliénation de l’être humain n’est pas chez « l’enfermé » mais dans l’enfermement lui-même et tous les traitements « annexes » qu’on fait subir.
« Et puis c’est comment le courage, ça se trouve où cette matière-là quand parler ne veut plus rien dire, avec un ciel griffé sous peau, et des mots dents de scie qui tronçonnent la gorge. On ne peut pas, non, envisager tout ça avec des phrases pareilles : « C’est pour décembre, va falloir être costaud ». Je la bouffe pas ta soupe ! Non ça ne veut rien dire une phrase pareille : c’est costume bravache, c’est du n’importe quoi. Tais-toi, tais-toi ! Tais-toi le téléphone ! Moi je débranche tout. Je fume une cigarette, j’avale le cendrier, j’essaie de penser l’air, mes poumons et l’espace, comment je pourrais faire et pouvoir tout sauver ? »
Un petit extrait d’un inédit d’Edith…qui va paraître bientôt chez P.O.L