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Villes. N°443.

Écrit par sur 16 septembre 2010

Retour sur le 7 septembre, date de la grande journée de défilés sur les retraites. Deux millions et demi à l’échelle nationale. Trois cent cinquante mille en Bretagne. Dans la rue cela se voit, c’est spectaculaire. Cela produit de bien belles images. C’est coloré et c’est sonore. Bien ! Mais ce qui compte c’est le nombre de grévistes et l’étendue des grèves. Plus il y a de grèves et de grévistes évidemment c’est important puisque ça touche l’économie. Voilà l’enjeu. Manifester d’accord, tourner dans le centre-ville, suivre le cortège, c’est bien, mais bloquer sur tout le territoire le fonctionnement des entreprises, il n’y a rien de mieux. C’est çà la lutte sociale. Cependant défiler c’est donner une forme, un corps. C’est se donner une représentation de soi-même.

Pour la première fois, le mouvement a eu lieu le mois de la rentrée. Du jamais vu dans l’histoire sociale ! C’est une multitude de marches lentes et rassemblements qui sont apparus sur le territoire, voilà des choses qui changent. Avec l’élargissement des couches générationnelles, plus de jeunes pour un thème de « vieux » c’est nouveau. Donc, quelque chose est en marche et vu les forces du chaos à affronter, ça n’est pas prêt de s’arrêter.

Retour maintenant sur le défilé du 4 septembre, date de la journée de manifestations contre les expulsions de Roms et la politique ultra-sécuritaire du gouvernement à l’encontre des droits humains fondamentaux. Ce fut la première grande mobilisation anti-fasciste. Pour preuve, cette déclaration hier de Viviane Reding, chargée de la justice et des droits fondamentaux au sein de l’exécutif européen, ulcérée par la dissimulation d’une circulaire française ciblant expressément les expulsions des Roms : « J’ai été personnellement interpellée par des circonstances qui donnent l’impression que des personnes sont renvoyées d’un Etat membre (de l’UE) juste parce qu’elles appartiennent à une certaine minorité ethnique. Je pensais que l’Europe ne serait plus le témoin de ce genre de situation après la 2eguerre mondiale. » Notons qu’elle a reçu le soutien de l’exécutif européen, du président de la Commission européenne et de l’Allemagne! Pas moins ! Lire aussi le point de vue de Jacques Rancière, philosophe: « Racisme, une passion d’en haut. » , ainsi que celle de Luc Boltanski, sociologue « Nous ne débattrons pas de la question Rom ».

Ces deux manifs-ci de protestation je les ai vécu différemment d’autrefois, je ne me suis pas contenté de défiler, de leurs points de rassemblement à leur dislocation je les ai flairé, humé, touché, palpé, je les ai traversé, remonté et redescendu, j’ai essayé d’en percevoir les formes, le visage, les contours, le corps. Un corps social ? Oui et non ! un corps avec sa silhouette, sa grande silhouette comme celle de cette impressionnante manif de quarante mille personnes, le sept septembre à Rennes. Historique.

Qu’ont-elles dit ces deux manifs? Quels furent leurs langages ? Les ingénieurs de machines à traduire et à accumuler du savoir que sont les commentateurs mandatés échafaudent des explications -dites de « politologues »!, les font parler, parlent à leur place comme toujours, ils les interprètent en s’entortillant du cul dans le décodage et le décryptage sur plateaux télé. Mais que dit cette foule ? Que pense-t-elle ? Qui le sait ? Ce qui est sûr c’est qu’elle est là. Vivante. Les gens sont là. Les gens sont là, et ce ne sont pas des nombres, des catégories, des secteurs d’activité, des générations de ceci ou cela, des statistiques, ou un concept « les salariés ». Ce n’est pas qu’un langage et des moeurs identifiés qui circulent à petits pas. Ces manifs dégageaient au regard de l’ampleur une sorte de respect, une éminente dignité. Comme le montrait à Rennes, immobile sur le trottoir, à l’angle de la rue Janvier et de la rue Toullier, une petite dame qui s’était confectionnée une petite pancarte sur laquelle était écrit en recto-verso : “La peur, le désespoir, alors que nous demandons le respect”.

Une « conscience ». Conscience donc sens. Quelque chose de plus qu’un instrument et un simple moyen. Pas une bille dans un juke-box. Ou tiges, fils et ficelles qu’on agite. Non ! mais par nos habitudes, nos manières de sentir, nos formes de pensée et de langage se dégage notre appartenance à une commune humanité qui utilise toujours ses villes comme lieux politiques majeurs. Et comme le dit Françoise sur Lieux-dits: « Est-ce qu’on était nombreux ou pas? (…) J’suis pas déçue. J’ai rencontré Daniel puis Matthieu puis Sandrine puis Catherine puis Brigitte puis Jean-Paul puis Gaëtan puis Cécile puis Cathy et Gérard puis Gwénola et Jérôme puis Zabeth Je n’ai pas vu Edith mais elle y était…Alors Hortefeux … hein! » Face aux tentatives d’élimination du devenir humain, de domination et d’exclusion, on n’a pas le droit d’omettre l’immense histoire de la cité et de la ville européenne -particulièrement lors des crises et mutations historiques.

Aujourd’hui encore ces cités et villes-là tiennent compte du caractère combatif des nouvelles images de soi, valorisantes, collectives et individuelles, dont furent porteuses les luttes sociales et politiques, depuis la Révolution française. Ces images s’opposaient à une société capitaliste où ce sont les intérêts et la consommation qui sont censés réguler les rapports sociaux, et fonder un ordre politique rationnel.

Allez ! Nouveau rendez-vous le 23 septembre ! Tous ensemble !

D.D


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