« Police partout, justice nulle part ». N°23.
Écrit par D.D sur 24 septembre 2010
Que ce soit à travers les médias, les discours ou notre réalité proche, pas un jour ne se passe sans que nous ne soyions confrontés à la police. Pas un jour non plus sans que nous ne soyions frappés par l’injustice qui gouverne aujourd’hui. En effet, au moment même où sévit une crise du capitalisme sans précédent plongeant progressivement de plus en plus de personnes dans des situations de précarité que l’on croyait révolues, les Etats s’organisent pour rendre illégal et chasser tout ce qui prend la figure de la pauvreté. En France et ailleurs, tout se passe comme s’il fallait gager de son compte en banque pour pouvoir vivre sans être y menacé. Au contraire de chercher à inverser ce processus en train d’appauvrir la très grande majorité, les dirigeants actuels s’en font les ardents défenseurs, eux mêmes étant de la classe de ceux qui s’enrichissent allègrement. Pour cela, ils s’emploient, avec l’aide de leurs pandores, à gommer du paysage ceux qui sont les moins intégrés à ce système. Bref, tels des gérants d’un vulgaire cercle ou club privé, les gouvernants confinent, expulsent et bannissent de l’endroit tout ceux qui ne donnent pas les signes d’être VIP. Les mesures qui visent actuellement les roms en sont évidemment l’expression.
Ici, on ne peut ainsi s’empêcher de voir autre chose qu’une simple coïncidence entre l’ensemble des mesures sécuritaires prises actuellement et la crise, encore bien loin d’être épuisée, du capitalisme. Ces politiques sont à l’évidence la réponse donnée pour conserver un système en pleine déliquescence. Des expulsions de sans-papiers hors de nos pays à celles qui touchent des dizaines de milliers d’américains hors de leurs maisons, de l’expulsion quotidienne de salariés hors de leur travail à l’exclusion qui relègue tant de personnes à la rue, quelque chose respire ensemble. On présume là une même dynamique dans laquelle les Etats se résument peu à peu à être des auxiliaires policiers au service du capital. Les politiques sécuritaires dont on nous parle avec tant d’insistance depuis une dizaine d’années ne sont-elles pas finalement le visage révélé du processus capitaliste ? L’expulsion, l’exclusion, désormais ouvertement assumées par les Etats, de certaines catégories de la population ne sont-elles pas la condition nécessaire au fonctionnement du système ? Désormais que la séduction de la société de consommation et du spectacle opère de moins en moins, peut-être sommes nous ainsi en train de prendre brutalement conscience de cette violence.
Pour autant la chose n’est pas nouvelle. En effet comme le remarque de façon radicale Ellen Meiksins Wood*, l’acte de naissance du capitalisme a résidé précisément dans ce phénomène massif d’expropriation et d’exclusion. C’est en Angleterre au XVIème siècle que cette dynamique se met en branle par l’appropriation et l’enclosure des terres, au profit d’une minorité dominante : » lorsque de grands propriétaires fonciers tentèrent de chasser de leurs terres ceux qui faisaient valoir un droit de vaine pâture, pour les transformer en patûrages rentables […], qui devenait alors de plus en plus lucratif […]Ce phénomène est la naissance du capitalisme. » Or c’est au nom de la valorisation économique et de l’amélioration incessante de la productivité, en vue de réaliser un profit, que fut revendiqué ce droit d’appropriation. « Peu à peu, mais inexorablement, le principe d’amélioration dans le but d’effectuer des échanges rentables, remplaçait d’autres principes relatifs à la propriété, tant ceux s’appuyant sur la coutume, que ceux revendiquant un droit d’accès fondamental aux moyens de subsistance. » Pour résumer, au nom de la valorisation économique il devenait légitime et accepté d’expulser hors de leurs terres et demeures ceux qui n’avaient rien d’autre pour subsister. Quatre siècles plus tard, n’en sommes-nous pas toujours là ? Les expulsions des squatters, des sans papiers, des travailleurs endettés jusqu’au cou, et au profit de la spéculation financière, n’en sont elles pas un exemple ?
Aussi la crise du capitalisme suivant son cours, il est une question dont on réentendra peut-être de plus en plus parler; celle de la propriété privée. En effet la propriété privée, conçue comme le fondement d’un droit illimité, exclusif et absolu, du possédant sur quelque chose, fut la traduction juridique, l’institutionalisation devrions nous dire, de ce phénomène qui donna naissance au capitalisme.* Etayée sur l’impératif de la valorisation économique elle instaurait, pérennisait et perpétue le droit d’exclure de l’usage d’une chose toute personne autre que celui reconnu comme propriétaire. Or dans un contexte d’effondrement économique comme le notre, où cette dynamique capitaliste d’appropriation et d’accumulation plongent tant de personnes dans la détresse, les rendant du même coup inutiles au système, il apparaît que l’Etat se fait progressivement l’agent policier chargé de procéder au contrôle et à l’expulsion de ces inutiles au monde. En dernier ressort l’Etat, garant du droit de propriété privée capitaliste, s’affirme de plus en plus comme l’ennemi d’un autre droit, indiscutable pourtant : celui d’exister. Un Etat à mille lieux de la mission que lui assignaient les révolutionnaires de 1789 pour qui, » le premier objet de la société […] c’est de maintenir les droits imprescriptibles de l’homme. […] le premier de ces droits [est] celui d’exister […] la première loi sociale est donc celle qui garantit à tous les membres de la société les moyens d’exister; toutes les autres sont subordonnées à celle-là ».** « Police partout, justice nulle part », telle est la politique inéluctable d’un Etat qui ne se conforme pas à ces principes élémentaires.
* « L’origine du capitalisme ». Ellen Meiksins Wood
** « Robespierre : entre vertu et terreur ». préf. Slavoj Zizek discours « Sur les subsistances »
M.D