« Plogoff, des pierres contre des fusils ». N°931
Écrit par admin sur 11 mars 2020
Bien sûr qu’en pleine période de campagne des municipales, eh bien, je retiens de loin, de très loin même, cette photo de fraternité humaine tirée du film-documentaire « Plogoff, des pierres contre des fusils ». Où le maire, Jean-Marie Kerloc’h, arborait un lance-pierre pour affirmer que lui aussi méritait d’être arrêté.
SE :… Nous, on pensait… On ne pensait pas faire ça… NL :… Au départ, c’était aussi… c’était calme. Il y avait prévu des yaourts, là, avec la peinture… c’était rien… BF :… Au départ, on n’avait prévu que la première nuit des barricades, pour les empêcher de venir sur la commune de Plogoff, c’était ça le but. Mais on n’avait rien prévu… Après, ça a été au jour le jour… »
Trois membres du comité de défense de Plogoff, épouses de marins au commerce.
Bien sûr que cette version restaurée – avec alternance d’images captées caméra à l’épaule et de photos argentiques en noir et blanc- du documentaire emblématique de Nicole et Félix Le Garrec, quarante ans après sa sortie, que je viens de voir, me rappelle des souvenirs vivaces.
Bien sûr puisque nous étions nombreux venant des quatre coins de la Bretagne à y être allés témoigner de notre soutien, du fait que nous éprouvions un sentiment de sympathie quand ça bardait fort à la pointe du Raz. Le contraire était impensable. Mobilisés, aussi, étions-nous dans la lutte anti-nucléaire.
Ici à Plogoff, les gens refusent qu’on décide à leur place, sans même leur demander leur avis, et à plus forte raison quand l’enjeu est de cette taille. Monsieur le commissaire enquêteur, nous ferons échec à vos projets. Ne vous attendez pas chez nous à un accueil triomphal. Vous le regrettez amèrement. La prise de conscience progressive de la population face au problème du projet de l’implantation de la centrale nucléaire me permet de dire que l’hostilité à Plogoff est telle que votre “excursion” chez nous sera fort désagréable. Nous vous laisserons un souvenir impérissable. Ceci équivaut à un premier avertissement. À Plogoff, nous saurons trouver la parade à votre braderie monstrueuse. Nous n’admettrons jamais ici que l’on triche avec la nature. J’aimerais beaucoup que l’on tienne compte de tout ceci et qu’on se le dise.
Signé : J.-M. Kerloc’h, maire de Plogoff. »
Jean-Marie Kerloc’h, maire de Plogoff, Lettre ouverte à Monsieur le commissaire enquêteur.
Bien sûr que dans le contexte social explosif d’aujourd’hui, « Plogoff, des pierres contre des fusils » n’a jamais été aussi pertinent. Mais, par-delà l’ aspect mythique de ces six semaines de luttes quotidiennes menées pas les femmes, les enfants, les pêcheurs, les paysans, le constat dramatique c’est que la confrontation, verbale et physique, est devenue sans commune mesure.
Bien sûr que ce soulèvement des « gens ordinaires » de Plogoff éclaire singulièrement celui, en bien des points, des Gilets jaunes en tant que mécanisme de type défensif. Une réaction à une attaque venue du haut de la société qui a mis une partie de la population au pied du mur.
Bien sûr que ça renvoie à la façon d’agir des Gilets jaunes, dans leur révolte spontanée, à la fois anarchique et organisée, et, avec elle, à une capacité des « gens ordinaires » de s’opposer à ses dirigeants.
Par contre, le choc visuel de ce documentaire réside dans le comparatif quarante ans après sa sortie. A mesure que les années passent, c’est ce qui le rend encore et toujours éminemment politique. Eh! oui, c’est ainsi, quand on regarde le passé c’est avec les yeux d’aujourd’hui.
Bien sûr que les pierres et les gros galets volaient et qu’ils étaient d’un bien autre calibre que les maigres projectiles lancés par les Gilets jaunes. Les feux de barricades, etc. Les Gilets jaunes, s’ils ressemblent comme deux gouttes d’eau à ces « gens ordinaires » de Plogoff, c’est dans leur dignité.
Des gens dignes, massivement féminisés – ceci à Plogoff dès l’édification de la première barricade au début de l’enquête d’utilité publique, comme sur les rond-points des Gilets jaunes- que le haut de la société réduit à rien, et qui veulent qu’on les respecte.
Par contre, là où réside la comparatif qui provoque un choc visuel, c’est qu’à l’époque, il n’y avait pas de Robocop. Pas de violences policières déchaînées comme elles se donnent à voir ces temps-ci. Pas de « gens ordinaires » volontairement éborgnés, défigurés suite à tir de LBD au visage, ou traînés au sol comme des débris.
Bien sûr que ça canardait. Des gars du coin, bien charpentés et de tout âge maniaient avec joie et malice pas des pavés, mais les lance-pierres et les gros galets des murets de bord de route; et de l’autre côté, se multipliaient les tirs des fusils lance-grenades des forces de l’ordre, la gendarmerie puis les parachutistes. Le film montre aussi combien les plus jeunes d’entre ces derniers étaient dépités psychologiquement de devoir cogner sur leurs égaux.
Par contre, rien de comparable à ce qu’il se passe de nos jours dans les rues face à la moindre mobilisation où on insère les « gens ordinaires » – de tout âge et de toute corpulence- jusqu’à étouffement dans des nasses mobiles aspergées sans discernement de gaz lacrymo à haute toxicité, sans échappatoire où on les charge sans respect aucun de la dignité de la personne humaine. Charger ! frapper ! mettre en prison n’importe qui ! Telle est devenue la doctrine policière nouvelle.
C’est le constat lucide que donne à voir involontairement ce documentaire – qui, en images et en voix, se survit formidablement bien d’un point de vue militant- tourné et réalisé sur le vif lors du soulèvement de Plogoff en 1980 contre un projet nucléaire. Pendant six semaines, le couple de cinéastes de Plonéour-Lanvern (sud-Finistère) va suivre quotidiennement le combat structuré et solide de « gens ordinaires face à un projet extraordinaire ».
Rappelons que c’était un combat annoncé comme perdu d’avance. Plogoff restera une victoire inscrite à jamais dans la capacité des « gens ordinaires » de s’opposer à ses dirigeants. Tourné dans l’urgence et sans moyen, « Plogoff, des pierres contre des fusils« , raconte au plus près ces événements.
Et continue ainsi à faire œuvre utile par effet de comparaison. À quelques quarante années de distance, il offre ainsi un contrepoint saisissant à voir combien les « gens ordinaires » qui s’estiment arrachés de force à leurs conditions d’existence dans un contexte d’oppression politique et psychologique extrêmement forte, sont considérés par le haut de la société comme des débris à déblayer, aux moyens d’une répression devenue no limit! afin qu’ils se dissolvent autoritairement.
C’est pourquoi, en écho, à la fin du film j’ai ressenti quand les spectateurs tardaient à se lever de leur fauteuil, combien la figure joviale, tête haute, de Jean-Marie Kerloc’h arborant avec dignité son écharpe de maire, et tous ces corps, visages, voix, langue bretonne, accent tonique et paysages sauvages, de ces habitants attachés à ce monde timide réglé sur l’horaire des marées depuis plusieurs générations, nous avait touché.
Bien sûr qu‘il convient de rappeler ce qui n’apparaît pas dans le film, l’appui politique à la lutte de Plogoff apporté par Haroun Tazieff, ancien résistant et célèbre vulcanologue qui était alors maire de Mirmande (585 hab) et conseiller du candidat Mitterrand pour les questions d’environnement. Ce même Tazieff qui, dès 1979, avait prédit le réchauffement climatique – voir ici.
Par contre, à quelques quarante années de distance de cette prédiction, permettez-moi de trouver affligeant les professions de foi des candidats-maires d’aujourd’hui. Et les bras m’en tombent à la lecture des programmes électoraux. Où s’affiche chez bon nombre un déni eu égard à l’époque où l’avenir de la totalité du vivant est menacée sur Terre – c’est une donnée scientifique. A l’heure où le protéger doit devenir la priorité de leurs priorités.
Nous n’admettrons jamais ici que l’on triche avec la nature. J’aimerais beaucoup que l’on tienne compte de tout ceci et qu’on se le dise. »
J.-M. Kerloc’h, maire de Plogoff.
D.D
Ce qui a été dit et écrit ici-même autour du cinéma. Ainsi qu’autour du chaos climatique.
françoise BAUDUIN Sur 12 mars 2020 à 9 h 35 min
Imaginons …
Imaginons …ce qu’aurait pu donner une déclaration de « nos » candidats aux élections municipales de dimanche…(Je dis « nos » candidats, ceux qui sont théoriquement opposés à la droite dure qui « gouverne » localement depuis 20 ans ici…) « nos » candidats donc, s’ils s’étaient retrouvés sur ce site de Plogoff : ( Me suffit de copier-coller des bribes de leur « programme »)
« UNE REFLEXION S’IMPOSE SUR CE PROJET »
-Nous allons y « PORTER UNE ATTENTION PARTICULIERE »
« -accentuer les efforts en direction de la jeunesse », « améliorer l’écoute et renforcer la communication »
Et je te mets un peu de la couleur verte sur l’affiche pour faire croire, et je te rajoute « des bacs à fleurs et des parkings à vélo », de l’éclairage public, une navette pour les p’tits vieux…et clic clac je t’embrouille (ou pas !)
Du machouillis de chat et je fais injure au chat…