Pascal Dibie, « L’humanité assise ». N°958
Écrit par admin sur 16 septembre 2020
Comment toute une partie de l’humanité accepte-t-elle de passer ses journées assise sur une chaise de bureau ?»
Pascal Dibie, anthropologue.
Ainsi faite la rentrée des classes. Pour ma petite fille, dès deux ans et demi. Elle attendait impatiemment cette rentrée, fière avec son joli sac-à-dos tout rouge. Et, après les quelques larmes des premiers moments, je suis très content pour elle d’apprendre qu’elle se rend à son école joyeuse.
Avec comme premier apprentissage scolaire pour elle et ses petits camarades… la position assise! C’est ce qu’explique l’ethnologue Pascal Dibie, dans son enquête « Ethnologie du bureau, brève histoire d’une humanité assise. «
Dans un entretien récent, Dibie précise : « C’est aussi contraignant qu’un dressage. Jusqu’au milieu du XXè siècle, les bancs étaient fixés aux pupitres qui eux-mêmes étaient fixés au sol. Il fallait restreindre la liberté de mouvement de l’enfant, c’était l’outil de la discipline. De 6 ans à la fin du lycée, l’élève devait se taire, ne pas bouger. Comment peut-on accepter de telles contraintes? C’est heureusement moins vrai aujourd’hui. Ces pupitres étaient les premiers facteurs de scolioses en France. »
D’Homo sapiens nous sommes devenus des Homo sedens, explique-t-il. « Comment toute une partie de l’humanité accepte-t-elle de passer ses journées assise sur une chaise de bureau ? » Ainsi nous en dresse-t-il l’histoire de l’aliénation du bureau et son corollaire: la dimension physique de la domination sociale.
De nos vies assises, cette banalité lui semble ainsi peu ordinaire. Eh bien, elle me l’était aussi ainsi. Ayant quitté cet univers du travail assis pour les raisons dont vous vous doutez, depuis, je l’avoue ici, ne me parlez plus de bureau, et ne me parlez plus d’être cloué des journées entières de travail à un siège. Et pourtant, c’est bien assis que j’écris cette chronique. En fait, on y échappe difficilement, de moins en moins.
C’est bien ce que l’ethnologue de la banalité du quotidien, comme il aime à se qualifier, observe de nos jours. Avec le changement majeur de l’apparition du télétravail qui, profitant des raisons sanitaires que l’on sait, s’il remet fortement en question le bureau dans sa forme traditionnelle, il imprègne tous les interstices de notre existence.
La dématérialisation du bureau permet un envahissement total de la vie personnelle par le domaine professionnel, on déconnecte de moins en moins… Le bureau a fini par déborder sur tout notre emploi du temps. Même nos villes se sont «dés-heurées». Nous finissons par avoir le bureau dans la tête et dans la peau. »
Pascal Dibie, ethnologue – entretien à Libération, du 12 septembre.
Pascal Dibie, nous l’avions rencontré à Saint-Malo. A écouter ici.
D.D
FRANÇOISE Sur 17 septembre 2020 à 8 h 59 min
« Comment toute une partie de l’humanité accepte-t-elle de passer ses journées assise sur une chaise de bureau ? »
Je ne dois pas bien comprendre ce que dit Pascal Dibie.
« L’humanité assise », oui, mais avec ou sans chaise de bureau !
Assise dans un fauteuil devant un programme de télé si puissante machine de propagande et d’illusion, assise dans son lit devant un jeu et ses hordes de zombies pixellisés (d’ailleurs il existe des « sièges gaming » !), mais « assise » aussi quand on la croise, cette humanité, marchant dans la rue, « zappant d’une « jouissance » à l’autre, sans mémoire et sans projet, prête à répondre à toutes les sollicitations d’une machine économique de plus en plus destructrice. »(C. Castoriadis).
Je me demande donc si , plutôt que cette chaise de bureau, ce n’est pas « l’asservissement du travailleur et l’absurdité du travail » qu’on lui impose qui maintiennent cette humanité « assise » alors qu’une activité créatrice et libre, sur cette même chaise de bureau lui permettrait d’être debout !
Mais moi, c’que j’en dis !