Oscar. N°440.
Écrit par D.D sur 26 août 2010
Des déclarations officielles prétendent que les persécutions du régime nazi n’étaient pas fondées sur des raisons raciales, mais sur la seule criminalisation de comportements « asociaux » (Land de Wurtemberg en 1950, gouvernement de Bonn en 1971, Conseil central juif en 1985). En découla en mars 1933, Dachau. Camp de concentration qui servit de modèle pour tous les autres dans lequel fut perpétré entre autres, le génocide contre les Sinté et Roms, un génocide longtemps oublié, même encore aujourd’hui. Il faut rappeler qu’un demi-million de Sinté et Roms ont été victimes notamment d’exécutions massives à l’arrière du front, de gazages, du travail forcé et d’expérimentations médicales.
Ce qui fait que visiter Dachau pour la 1ère fois comme ce fut notre cas il y a quelques jours impressionne plus encore quand on a en soi cette phrase de Primo Levi : » c’est arrivé, cela peut arriver à nouveau » . Et le souvenir des toiles et dessins de Zoran Music vus il y a quelques années à Paris. Déporté à Dachau il dessina la vie au camp « une vie de tous les jours dans un brouillard, ombres et fantômes bougent ». Pendus pantalons aux chevilles, cadavres nus gisant à même le sol, membres fins comme des pattes d’insectes, corps en route pour les fours crématoires, cette série de toiles il l’intitula: « Nous ne sommes pas les derniers ». Mais la question incessante qui taraude tout visiteur à cet endroit de mort est celle-ci: comment ça a pu être possible?
Dans son ouvrage « Une société à la dérive » Cornélius Castoriadis écrivait : « La réalité de la décomposition mentale des couches dirigeantes dépasse ce que la théorie pouvait raisonnablement prévoir. ». Une décomposition mentale, oui voilà comment cela a pu être possible. Quand en ce moment les partis populistes d’extrème droite prennent en otage les politiques nationales comme aux Pays-Bas, en Belgique, en Italie, en Hongrie et en Roumanie il est à craindre que nous assistions en Europe à une décomposition nouvelle qui fasse tache d’huile. C’est vrai de nos jours à un point tel que le « plus jamais ça », cette devise qui eut cours depuis la barbarie nazie, leur échappe.
Comme on le voit notre gouvernement apporte une légitimité officielle à pareille décomposition. D’autant que s’y ajoute de la technicité. Ainsi quand Eric Besson à propos des Roms s’exprime ainsi « Dans quelques semaines, Oscar, le fichier biométrique que nous avons mis au point, va permettre d’éviter cette noria, ces aller-retours: ceux qui ont perçu l’aide ne pourront pas la recevoir à nouveau » ne voit-il pas que son Oscar n’est ni plus ni moins que l’étoile jaune des temps de hautes technologies? Ou plutôt un triangle noir et le tatouage « Z » pour Zigeuner (Tsigane en allemand). Rappel utile : l’étoile jaune comme le triangle noir eurent une fonction de marquage, désignant les Juifs et les Tziganes aux nazis lors des rafles, etc.
Mais pour le coup, une fois en place, ça dépassera ce qui peut raisonnablement être prévu à l’heure où l’on se parle. Car la combinaison de la décomposition mentale et la haute technologie n’a jamais été autant préoccupante. Imprévisible. Oscar, l’outil de statistique et de contrôle de l’aide au retour déjà actif sous forme d’une base de données, sera activé le mois prochain dans sa partie biométrique.
Selon le décret du ministère de l’Immigration, Oscar a trois objectifs : limiter les fraudes entre ceux qui demandent à bénéficier d’une aide au retour de 300 euros et ceux l’ayant déjà perçue; « permettre le suivi administratif, budgétaire et comptable des procédures d’aides au retour gérées par l’Office français de l’immigration et de l’intégration »; offrir des statistiques relatives à ces procédures et à leur exécution.
Qu’est ce que le biométrique ? il s’agit de la mise en base de données des empreintes numérisées de chaque bénéficiaire, ainsi que de celles de leur enfant âgé de 12 ans et plus. Et ce dont on peut déjà raisonnablement prévoir c’est que son utilisation servira d’expérimentations à grande échelle pour une plus grande banalisation gestionnaire. Déjà de façon anodine, par le recours aux fichiers l’ensemble des administrations accumulent des données dans l’objectif de surveiller ou contrôler des populations. Et ainsi à notre insu et sans transparence se définissent de nouvelles catégories identitaires, sociales ou comportementales. Et se revisitent les appartenances et les trajectoires. Et altèrent gestes et esprits.
Sous le prétexte de rationaliser les politiques publiques, maîtrise des coûts, évaluation des activités des agents avec la généralisation du travail par objectifs chiffrés, définition d’indicateurs d’objectifs et de suivi, un glissement majeur s’opère de façon très préoccupante avec l’utilisation de fichiers biométriques. Il y a là un processus pseudo-rationnel en déploiement…
A toute époque sa technologie avancée et sa façon singulière de l’utiliser. Et d’en apprécier les fruits. Mais remarquons que les prétextes d’utilisation par temps de crise s’inscrivent dans la continuité. L’instrumentation technique du phénomène seule évolue. La nature reste la même. Même si de nos jours l’on épure au karcher. Oui ouvrons les yeux : ce pays, le nôtre, est quadrillé de camps de rétention et de centres fermés aux usages potentiels inquiétants. Bouts par bouts il plonge dans l’inconnu. Et la propagande est désormais explicite comme l’assimilation de l’étranger au délinquant. La terminologie ancienne est ressortie ce qui montre bien, si besoin était, la réalité de « la décomposition mentale des couches dirigeantes ».
D.D