Michel Ragon, « Où vivrons-nous demain ? » N°928
Écrit par admin sur 19 février 2020
Le pouvoir est maudit et c’est pour cela que je suis anarchiste ».
Michel Ragon, écrivain.
Dans le flux contemporain d’informations de toutes natures – de toutes natures produites par La Société du spectacle-, parfois l’on apprend entre deux infos consternantes des disparitions de types bien. Comme cela se disait autrefois, c’est un type bien, ou c’était un type bien. L’expression semble être tombée de nos jours en désuétude – l’on peut comprendre.
C’est ainsi que j’en parlerai pour évoquer la disparition de l’écrivain Michel Ragon, biographe de Courbet, et mort à 95 ans.
Singulier il l’était, jamais installé à l’intérieur de ce qu’il n’est pas : orphelin de père à 8 ans, à quatorze ans, il doit quitter l’école, et la ville de son enfance, Fontenay-le-Comte, pour aller travailler à Nantes « la grise » d’abord comme garçon de courses, puis manutentionnaire ou encore aide-comptable. Monté à Paris à 20 ans, il fait tous les métiers. Ouvrier manoeuvre sans certificat d’étude, bouquiniste sur les quais de la Seine. Puis ouvrier agricole en Angleterre, et partit pour le Japon en s’embarquant sur un cargo… De retour après avoir bourlinguer, devient écrivain autodidacte, critique d’art et d’architecture, historien de l’art, de la littérature prolétarienne et de l’anarchisme. Pas moins. Avant de devenir à 50 ans docteur ès-lettres et professeur à l’école nationale supérieur des arts décoratifs. Et enfin, grâce à ses nombreux écrits portés par une insatiable curiosité et un désir de maîtrise, il est l’auteur d’une œuvre littéraire dite par les spécialistes, protéiforme.
En tant qu’écrivain, il est surtout connu, entre autres, pour être l’auteur de La Mémoire des vaincus, fresque historique basée sur histoire vraie autour du mouvement anarchiste de 1917 en passant par la guerre d’Espagne jusqu’au mobilisations contre le nucléaire des années 1970. Puis pour son best-seller Les Mouchoirs rouges de Cholet.
» La pauvreté, on s’en remet. La misère, c’est cette chose atroce, qui coupe les jambes et la tête. La misère, elle, est tragique. »
En tant que critique d’architecture, de lui je garderai en mémoire d’avoir assisté à une de ses conférences dont le thème portait sur celle-ci, il y a un bail de cela à la Maison des poètes de Saint-Malo.
Pour l’anecdote, cette conférence avait été enregistrée mais le temps est passé par là, la bande n’est plus exploitable. Si bien qu’à défaut il me reste à relater ici un court échange que j’avais eu avec lui, à propos d’un projet d’urbanisme solaire qu’il avait théorisé et qui s’appelait Heliopolis. Un projet d’un urbanisme très dense complètement repensé pour la lumière du soleil.
Visionnaire, l’idée de Ragon consistait ainsi à se démarquer des principes de l’architecture standardisée et modulaire, en rompant avec l’empilage de boîtes. Sachant que ce n’était pas l’architecture en tant qu’objet qui l’intéressait mais l’architecture en tant qu’elle façonne la ville dont on habite. Loin donc de la logique des grands ensembles. Principe qu’il avait développé dès le début des années 60 dans son ouvrage Où vivrons-nous demain ? Toujours d ‘actualité.
En tant qu’historien de l’anarchisme, de lui restera, entre autres, La voie libertaire, dont la postface est signée de Jean Malaurie, grand anthropologue habitué de ce même lieu malouin, à l’époque. L’un et l’autre s’étaient déjà entendus pour un ouvrage L’accent de ma mère édité dans la collection Terre Humaine, pour lequel Malaurie en tant qu’éditeur cette fois, avait écrit la préface.
En exergue à La voie libertaire, cette citation :
Le feu prit un jour dans les coulisses d’un théâtre. Le bouffon vint en avertir le public. On crut à un mot plaisant et on l’applaudit : il répéta, les applaudissements redoublèrent. C’est ainsi, je pense, que le monde périra dans l’allégresse générale des gens spirituels persuadés qu’il s’agit d’une plaisanterie. »
Kierkegaard.
Suite à quoi, en prélude à son texte, Michel Ragon poursuit ainsi : « L’histoire de l’humanité est consternante. Comme dans cet apologue du théâtre en feu que nous plaçons en exergue à ce livre, les penseurs prospectifs sont pris pour des plaisantins. On se moque des prophètes et l’on applaudit les démagogues. La voie libertaire est un petit chemin caillouteux, « montant, sablonneux, malaisé » sur lequel ne s’engagent que quelques utopistes. En bas, dans la vallée, sur la route si large, s’engouffre la multitude, persuadée de son bon droit, de sa raison, de sa logique.
La voie libertaire n’est pas confortable. Elle est, puisque minoritaire, la voie de la solitude et du doute. Pourquoi, dès mes vingt ans, ai-je emprunté celle-là et non pas l’autre? Pourquoi ne me suis-je jamais détourné de ce chemin? Pourquoi, après un aussi long parcours, ai-je acquis la certitude que cette voie était la seule qui vaille la peine d’être fréquentée? «
En sa mémoire, il est juste de dire que c’était un type bien. Même si le flux d’infos d’une époque no limit n’en a que faire.
D.D
Ce qui a été dit et écrit ici-même autour de Jean Malaurie, et de Gustave Courbet. Ainsi que de l‘habiter.