La fureur le dispute à la tristesse. On sait la valeur inégale des vies. On sait qu’aux frontières sud (où l’Europe construit sa forteresse), les corps ne comptent pas. Ils sont nombreux à disparaître pour toujours. Ceux que rend la mer, il est très difficile de les enterrer. Les administrations suivent des règles qui demandent tant de temps et d’argent que les corps s’échouent une nouvelle fois, sans identification, sans mémoire ni prière.
A notre frontière intérieure, le corps d’un jeune homme dont l’Europe ne voulait pas vivant gît dans la chambre froide d’un hôpital anatomique. La communauté religieuse de la ville où son chemin s’est arrêté pour toujours prend les frais de son enterrement en charge. Trouve le lieu de séjour éternel. Prie et va prier. Se prépare à montrer à la famille la tombe, au cimetière, où elle pourra pleurer, de loin.
On ne veut pas des garçons vivants, on ne les veut pas morts non plus. On ne veut pas savoir ce qu’on fait ou laisse faire en notre nom. On ne veut pas, un jour, devoir se souvenir que le garçon est mort franchissant une frontière qu’en cinq minutes, moi, je passe.
Le juge qui avait ouvert l’affaire refuse que le corps soit religieusement enterré. Sans doute sans idéologie : suivant le protocole. Le passeport des parents, une copie certifiée conforme, un acte notarial. « Malgré la lettre (informelle) de la famille. Des formes, des formes. Le tout pour ces jours-ci. Sinon…
Dans une fosse commune, on jette, pèle mêle, dignité, mémoires, liens, relation à la mort, à plus grand que soi. »
Marie Cosnay, écrivain – note tirée de sa page FB, le 23 juin.