Marc Augé, « L’Avenir des Terriens ». N°789
Écrit par D.D sur 31 mai 2017
Voilà qu’au même instant Trump s’apprête à mettre à sac l’Accord de Paris sur le climat et que parait ici ce jour un compte-rendu de lecture de « L’Avenir des Terriens » de Marc Augé. Qui est un livre important mené à la lisière de la philosophie, de la politique, de l’ethnologie et de l’anthropologie. Inventeur du concept des Non-lieux (à écouter ici), cette fois il s’interroge sur notre goût de l’avenir à l’heure de l’inégalité croissante des conditions sociales et au moment où, par les nouvelles mobilités, nous devenons tous selon lui des êtres planétaires.
Pour Augé qui voit loin « Nous vivons les dernières convulsions qui président à l’apparition d’une société plus planétaire, du vraie société. »; « Nous vivons donc aujourd’hui un changement d’échelle sans précédent« .
Grand sujet. Eclairé tout simplement par cette grande figure de l’ethnologie, de 82 ans. Reconnu pour sa sensibilité à la recherche des invariants de la condition humaine (lire ici), ancien président de l’Ecole des hautes études en sciences sociales, il est l’un des grands anthropologues contemporains. Après des travaux consacrés aux prophétismes africains et des ouvrages d’analyse théorique, puis pour son approche anthropologique de notre monde réel quotidien, voir ces ouvrages – La Traversée du Luxembourg, Un ethnologue dans le métro, Le métro revisité (Seuil, 2008), etc. Ainsi qu’après avoir fait l’éloge de la bicyclette et du bistrot parisien.
Donc fort averti sur l’état des lieux, cela va sans dire. « Nous sommes au coeur d’une utopie en train de se défaire au moment même où elle essaie de se bâtir: celle de l’alliance féconde et définitive entre démocratie représentative et marché libéral à l’échelle planétaire. Des régimes qui n’ont rien de démocratique s’accommodent très bien du marché libéral; la spéculation financière prend le pas sur la logique de la production et de la prospérité sociale. Dans le domaine des connaissances comme dans celui des ressources économiques, l’écart ne cesse de grandir entre les plus favorisés et les plus démunis, y compris dans les pays émergents. Nous nous acheminons vers une planète à trois classes sociales: les puissants, les consommateurs et les exclus. » (p17).
« Les puissants représentent l’oligarchie formée par ceux qui circulent sur la planète et la considèrent comme leur jardin. Les consommateurs sont nécessaires au fonctionnement du système. Quant aux exclus, ils le sont de la consommation autant que de la connaissance. Le grand défi de l’avenir sera de faire en sorte que chacun, quels que soient son âge et son degré de richesse, puisse participer à l’aventure commune de la connaissance. » (itw Le Monde).
Et dans son chapitre 7 « Retour à l’universel« , il se penche sur le poids des nouvelles technologies, l’instantanéité et l’ubiquité : « Aujourd’hui, dans un monde saturé d’images et de messages, dans le monde de la communication instantanée, il est prioritaire de se défaire des illusions de l’évidence, de ne pas être dépendant des objets que l’homme a créés et que des hommes exploitent. De ne pas réduire l’individu au consommateur et de ne pas faire des personnages créés par le monde médiatique global l’incarnation de la liberté. De maintenir l’exigence d’un regard critique sur notre histoire en cours.
Il est vrai que les relais proposés à l’action humaine par les innovations technologiques, notamment électroniques, simplifient et compliquent à la fois l’observation des individus dont ils investissent ou prolongent le corps. Les protestataires eux-mêmes, lorsqu’ils font entendre leur voix, sont prisonniers du monde d’images qu’a créé l’expansion prodigieuse des médias et de la communication. En quelques décennies à peine, notre environnement le plus familier a été transformé. Les catégories de la sensation, de la perception et de l’imagination ont été bouleversées par ces innovations et par la puissance de l’appareil industriel qui les diffuse. » (p 91/92).
Cela posé et autres choses encore – « La sortie du religieux me paraît évidente, tôt ou tard. » (itw Le Monde)-, si son livre « L’Avenir des Terriens » est sous-titré Fin de la préhistoire de l’humanité comme société planétaire, c’est en qualité de scientifique reconnu qu’il annonce qu’on est en train de changer de société, et que ce défi est incroyable : « Il nous faut reconnaître que, s’agissant de la planète Terre elle-même, l’histoire commence à peine » (p 69). « Nous sommes dans une période de transformation extraordinaire, il faut être en mesure de l’apprécier. Pour l’apprécier il faut avoir les moyens de vivre et de penser. »
Et « Pour penser l’avenir comme possible, il y a un modèle, la pensée scientifique, qui promeut l’hypothèse comme méthode, et deux principes : penser selon les fins et comprendre que l’homme, dans sa triple dimension, individuelle, culturelle et générique, est la seule priorité. »(p 13).
Loin des déclinistes car plutôt optimiste à la condition que l’humanité règle la question des inégalités – « Refuser l’humanité à certains, c’est la tuer chez tous » (p 37)-, et de son autre menace « une dissolution générale dans l’univers médiatique, ou, pour le dire plus brutalement, la double menace de l’exclusion de certains et de l’aliénation de tous » (p 131) » (pour preuve, j’ajouterai après lui: les geeks de la SiliconValley ne prennent-ils pas bien soin de mettre leurs gosses dans des écoles sans écran ?), eh bien l’anthropologue des mondes contemporains, héritier des Lumières, pense que l’homme existe à travers le désir de connaissance. C’est-à-dire l’utopie de l’éducation – qui « restera un idéal – mais sans doute est-il bon qu’ainsi une direction, au moins, soit fermement indiquée et que cet idéal, pour utopique qu’il puisse encore paraître, ait trouvé son lieu: la planète entière. » (p 130).
Et pour lui, c’est avec cette utopie-ci qu’il nous reste à bâtir une société transculturelle, une « société de Terriens dont nous entrevoyons, aujourd’hui, la possibilité à travers les soubresauts d’un accouchement difficile« (p 133). Soubresauts dont Trump en est, entre autres, le nom.
D.D
Ce qui a été dit et écrit ici-même autour de la Planète, et du climat.