Des amis, la nature en est peuplée… N°672

«Proche de la nature et de la terre», le philosophe épicurien Marcel Conche, autre spécialiste de la Grèce antique, auteur de nombreux ouvrages dont les récents Epicure en Corrèze et Sur Epicure (dont la pensée a fait école dans tout le monde antique) a la profonde conviction que l’essentiel tient aux choses les plus humbles.

«Les fanes de pommes de terre sont assez sèches pour être brûlées… J’en fais des tas au pied desquels j’allume des torches de papier journal. La flamme s’élève bientôt, le vent la secoue dans un sens et dans l’autre ; quand son bruit de souffle s’apaise, le murmure de la Dordogne toute proche parvient jusqu’à moi, et je me sens environné d’amis. Ils sont rares chez les humains, mais la nature en est peuplée.» écrit-il.

Arbres bercés par le vent, eaux cristallines, etc. Oui je souscrits. Des amis, la nature en est peuplée…

Anecdote. Laissons la parole à… ma conversation matinale. Éclairante. Bien que banale. Ce matin, 7h40. Pluvieux, l’air est limpide, assez doux. Descente de métro à Rennes. Après déjà être descendu du TER. Bref, parcours quotidien du matin. Le soir c’est pareil mais pas dans le même sens. De la station de métro, vingt minutes de marche jusqu’au boulot. Et le soir, l’inverse. Ce matin donc, avec un autre usager des transports et travailleur du quartier comme moi, nous discutons. De quoi ? Eh bien des jours qui se rallongent et c’est tant mieux. Apprécions ensemble cet effet d’allongement, puis notre conversation prend fin à la hauteur d’un passage piéton, la bifurcation qui ponctue le dialogue où l’on se souhaite mutuellement une bonne journée.

Tout ça pour dire que par la réapparition matinale du jour (8h) et son prolongement de la fin d’après-midi (18h), cette remise à jour est une joyeuse nouvelle. Ce jour est un ami ! Vraiment !

Pareille observation aurait pu être évoquée par mon grand-père cordonnier. Fin connaisseur du temps qu’il fît avant et après la guerre, car météorologue-prévisionniste avant l’heure (avant la TSF qui lui en fera perdre le monopole…local), et un peu aussi… philosophe. Puisque comme l’écrit José Saramago dans son livre La lucarne : « – Je ne vous croyais pas si…comment dire ? -Philosophe ? Tous les cordonniers sont un peu philosophes. Ça a déjà été dit…. ». Bon, ça n’a rien de percutant comme citation…mais n’empêche ! Par contre comme un rappel à l’ordre, il circula aussi ce proverbe latin pour « recadrer » tout cordonnier philosophe: Ne sutor supra crepidam (que le cordonnier n’aille pas au-dessus de la bottine). Bon, notons quand même au passage que le « premier philosophe allemand », comme l’appelle Hegel dans son Histoire de la philosophie, était Jacob Boehme, cordonnier de son état.

Le temps qu’il fait est un ami quand on sait le prévoir. Voici une bonne philosophie! Peut être l’a-t-il laissé entendre mon grand-père dont l’attitude morale était respectée. Et dont les prévisions d’au-dessus de la bottine étaient appréciées de petits paysans et de sans terre qui venaient le solliciter en fin d’après-midi entre deux travaux (vaches, patates, labours, etc). Trait commun à toutes communautés humaines, le temps à venir a toujours été une préoccupation importante. Patouille ou temps sec, tout change.

J’explique : son atelier doté d’une large baie comme ça se faisait autrefois pour les ateliers, donnait plein Ouest. Si bien qu’au fil des brodequins fabriqués –fabrication jadis fondamentale à la condition humaine qui marche pour se nourrir-, lui-même assis avec le « Pied de fer » tenu entre les cuisses, des semences posées sur ses lèvres en étagère, les mains étant prises l’une par le marteau ou la pince à monter, l’autre par le soulier neuf en cours de montage, mon grand-père annonçait ce qu’allait être à vivre ou à endurer durant la journée du lendemain.

C’est qu’il avait appris seul, le regard par instants quittant le cuir pour l’horizon, en détectant tout signe perceptible par l’observation de la direction des vents, la position de la lune et du soleil, les pressions (par l’humidité du sol en ciment de la cuisine), la température, l’humidité, et les marées, avec assez de fiabilité pour être cru sur parole.

Tâche ingrate. Compte tenu de ces ciels bretons incroyablement changeant, beaux car variés, à la lumière sans cesse en mouvement, aux nuages-voyageurs en désordre qui déboulent souvent de l’Ouest, rarement plombés immobiles comme en d’autres régions.

Ah ! Si celui qui apporte à autrui la bonne prévision est un ami qui lui veut du bien, que dire alors du jour qui permet de regarder le ciel, y lire a minima le vent et les masses nuageuses, et entre autres détails de mieux se voir en face ?

N’oublier jamais que le jour solaire est un ami. Au sens qu’en donne Marcel Conche, en quelque sorte. Une sortie des ténèbres pas moins. Dont la durée varie tout au long de l’année. Le jour étant quand même la raison d’être de tout ce qui existe. Si bien que depuis l’âge des cavernes, ce qui en découle est connu de tous : « forces », « orientations », « énergie », et cetera.

D.D