Langue ? N°434.
Écrit par D.D sur 8 juillet 2010
De François Bon, écrivain : « A quel moment on a su que ce pays n’avait plus de langue ?
Tu pouvais parler quand même, sûr : simplement, qui écoutait, qui répondait ?
On était sur des chemins parallèles : bien sûr, tout continuait. Ça parlait autant, ça parlait pareil. Peut-être même encore plus fort.
Ce pays n’avait plus de langue, et rien n’avait changé. »
Est-ce imputable à la grosse chaleur mais la vision qui me vient immédiatement à cette lecture me renvoie à celle-ci: l’archaïque est bien au coeur de l’extrême modernité. Car quoiqu’on en dise des nouvelles technologies des flux de la communication, ou de la langue qui va et vient et repart, c’est bien avec des enveloppes en kraft demi-format qu’on ballade encore de l’argent liquide pour se rendre quelques menus services. Donc, c’est ainsi que se disent les choses…muettes.
Ainsi selon Claire T, l’ex-comptable de Bettencourt : « Nicolas Sarkozy recevait aussi son enveloppe, ça se passait dans l’un des petits salons situés au rez-de-chaussée, près de la salle à manger. Ça se passait généralement après le repas, tout le monde le savait dans la maison. Comme M. et Mme Bettencourt souffraient tous les deux de surdité, ils parlaient très forts et de l’autre côté de la porte, on entendait souvent des choses que l’on n’aurait pas dû entendre. Encore une fois, tout le monde savait dans la maison que Sarkozy aussi allait voir les Bettencourt pour récupérer de l’argent. C’était un habitué. Le jour où il venait, lui comme les autres d’ailleurs, on me demandait juste avant le repas d’apporter une enveloppe kraft demi-format, avec laquelle il repartait. Je ne suis pas stupide quand même, inutile de me faire un dessin pour comprendre ce qu’il se passait… »
Et à la lumière de cette affaire Bettencourt-Woerth c’est bien encore à coup de haine et d’injures que le pouvoir, qui liquide et dépouille l’Etat, tente de faire taire la langue et son éclatement dans la multiplicité des « petits récits » qui lui échappe, comme en témoigne l’attaque à l’encontre du site internet d’info Médiapart qui a révélé ces faits. Toute la supposée modernité ne fait que suivre des chemins tout tracés finalement.
Car si l’objectif vise à lui retirer tout crédit, les termes mêmes de l’insulte valent leur pesant d’or et de cacahuètes car en accusant Médiapart d’user de « méthodes fascistes » (Bertrand), ou de contribuer à la « déliquescence de la démocratie » (Fillon), ou de «s’emballer à la première horreur, euh calomnie, qui n’a que le seul but de salir sans aucune espèce de réalité» (Sarkosy) y a pas mieux pour aller fouiller dans le passé de l’empire du groupe de cosmétique « L’Oréal » où ça sent mauvais, et y chatouiller quelques fantômes : son fondateur a dû « répondre de ses actes pendant l’Occupation devant le parquet de la Seine et les comités d’épuration ». L’habitude alors fut avant guerre, de financer « la Cagoule » puis pendant l’Occupation, de financer aussi le parti de Marcel Déat. «Et puis, il y a ces textes qu’on lui met sous les yeux et qui se passent de commentaires. » Nous n’avons pas eu la chance des nazis (…) Nous n’avons pas la foi du national-socialisme. Nous n’avons pas le dynamisme d’un Hitler poussant tout le monde. » Lire ce papier du Point.
Oui voilà bien ce qui se révèle en caractères grossis: « Ce pays n’avait plus de langue, et rien n’avait changé. »
D.D
Chronique.
Edwy Plenel, directeur-fondateur de Médiapart remercie ses soutiens: « Ce que l’on appelle, par commodité tant cette histoire a mille dimensions, « l’affaire Bettencourt » est, de ce point de vue, un véritable événement démocratique. Un événement rassembleur car révélateur. Spontanément, dès la révélation des enregistrements, chacun d’entre nous a compris ce que dévoile cette rencontre au sommet de l’argent et du pouvoir, d’une grande fortune et d’une présidence politique : soudain, une inégalité profonde – devant la loi, devant l’impôt, devant la justice, devant la vie matérielle, etc. –, une inégalité acceptée, tolérée et favorisée, une inégalité qui semble la vérité d’un monde qui n’aurait plus que l’argent, son accumulation et sa puissance, comme valeur.
Tel est le scandale que l’on voudrait faire taire. Pas seulement faire oublier telle ou telle révélation précise mais, plus profondément, tenter de discréditer un récit dont le seul énoncé met à nu les mondes du pouvoir et de l’argent, du pouvoir absolu et de l’argent sans fin. Au-delà de la protection du président lui-même, ce fut l’enjeu des grandes manœuvres et manipulations de la semaine passée. »
Quant à l’investigation, son mode d’emploi, voir « Arrêt sur images ».
D.D
12/07/2010 10h00