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« La voix est une présence. » N°1175

Écrit par sur 20 novembre 2024

La voix est une présence que les mots ne sauraient complètement remplacer »

Rodolphe Burger, chanteur.
Ainsi résumé l’enjeu et l’objet de la voix par cette citation de Rodolphe Burger qui accompagne Avalanche, son album peuplé de voix et de noms – lire ici. Comportant donc, est-il dit, « une variété des tons, du grave au léger, de l’ironique au féérique, du drôle au lyrique. » Autant dire que si les mots se serrent et se bousculent, courent, dansent, posent solennellement ou, espiègles, grimacent dans l’immense collage de sons, la première place revient à la voix. Où se nichent une trace, une marque, un trait… Une faculté qui avait fui son compère Miossec qui, après des mois « jusqu’au silence absolu », retrouve sa voix. D’une forme retrouvée, la sienne, « écorchée » cela s’entend – lire ici.
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Publié dans le journal e-flux de novembre 2024 – c’est une publication mensuelle sur l’art basée à New-York, où l’on y présente des essais et des contributions d’artistes et de penseurs contemporains-, un texte titré « Le Problème dans la Voix«  considère la voix comme « ce qui engloutit le langage dans l’intimité du corps, dans la trahison excessive des origines par l’accent.« 
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C’est dire, considérant ses origines radiophoniques, que La Chronique d’ici-même et à la fois d’ailleurs mais assez bien placée question cordes vocales, se plaît à en introduire l’extrait qui suit. Allons-y entendre.
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« Tout le monde semble détester sa voix. Réécouter un enregistrement audio de vous-même est à la fois une forme douloureuse d’embarras et, comme la plupart des embarras, également une source de fascination narcissique. Est-ce que j’ai vraiment l’air comme ça ? La voix nous arrive toujours comme un choc, elle brouille nos coordonnées provisoires de soi. C’est un autre moi. Dans l’enregistrement, nous entendons ces ondes sonores créées par nous-mêmes sans l’acoustique interne de notre sang et de nos os, mais en rencontrant plutôt le son lorsqu’il est réfléchi sur d’autres objets. Avec horreur, nous nous rendons compte que d’autres, ceux qui écoutent, connaissent mieux ces sons que nous.

Soi-disant la nôtre mais apparemment appartenant à l’autre, la voix est aussi un handicap qu’il faut contenir, alors que nous nous efforçons de prononcer les mots correctement, de perdre les zézaiements et les accents, ou de perfectionner un ton de service client. Il est donc clair que la voix n’est pas vécue comme un signal clair ou une substance authentique qui se déverse de l’intérieur. Il s’agit plutôt d’une interférence étrangère mais tolérée, brouillant les codes sémantiques avec ses propres signaux associatifs. Loin d’en être l’expression la plus pure, la voix fait en réalité problème au langage. C’est un bruit dans la transmission, une déviance dans la communication verbale à apprivoiser, à brider et à maîtriser.

Malgré cette dissonance, la voix enregistrée a pleinement infiltré nos circuits médiatiques contemporains et généré ses propres formes omniprésentes. Nous connaissons probablement tous la voix des podcasts, la voix de Ted Talk, la voix des influenceurs, les notes vocales dans les applications de messagerie et les logiciels de synthèse vocale. (Pour le meilleur ou pour le pire, vous pouvez écouter l’intégralité de cet essai avec la voix de Gwyneth Paltrow ou de Snoop Dogg sur Speechify, si vous préférez). Nous pourrions trouver aujourd’hui une analogie utile à cette situation dans la transformation des films muets en films parlants à la fin des années 1920, alors que la voix s’engouffre dans le plan visuel et remplit les nouveaux supports sonores qui lui sont attachés. Et comme avec l’avènement du parlant, certaines voix sont devenues encore plus marginalisées, comme celles avec un accent, un ton jugé trop masculin ou trop girly, un rythme lent, etc. Tout comme il y a un siècle, la normativité de la parole n’est qu’intensifiée par sa capture technologique. Ainsi, alors que ces nouvelles formes techniques offrent une transmission quasi instantanée à travers le monde, chaque voix devient désormais ouverte à un examen minutieux. Nos forums publics, nos réseaux sociaux et de nombreux lieux de travail sont saturés de discours mais mal à l’aise face à l’indiscipline de la voix.

Pourtant, même dans l’énoncé le plus fluide, il y a toujours une friction qui frotte contre le « je » qui parle. J’appelle cette friction « l’accroc dans la voix » : un événement de perturbation de la parole qui vient de l’intérieur de la parole elle-même, comme un fil accroché arraché du tissu. Le problème est une caractéristique ou une qualité qui attire l’attention. Il se situe en dehors du sens verbal, mais sa forme n’est pas encore tout à fait esthétique. En cela, elle diffère quelque peu de la célèbre description de Roland Barthes du « grain » de la voix chantée – ce qu’il décrit comme le support matériel sous la chanson qui génère son attrait affectif, sa ponctuation.

Mais le problème n’est ni la composition sémiotique lucide, ni l’air exceptionnel de la prima donna, ni lié à la communication ni spectaculairement au-delà d’elle. Cette qualité extralinguistique mais non virtuose est toujours présente dans l’acte de parole, mais remonte à la surface lorsque l’on murmure, marmonne ou prononce mal des mots ; parle trop lentement ou trop vite ; possède une voix trop rauque ou trop gutturale. Pour certaines enceintes, l’accroc s’accroche et se libère rapidement. Pour d’autres, son caractère irrégulier doit être constamment négocié. »

D.D

Ce qui a été dit et écrit ici-même autour de Rodolphe Burger.


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