Kathleen Jamie, « Strates. » N°977
Écrit par admin sur 28 janvier 2021
Je suis plongé dans la lecture de Strates de l’écossaise, poétesse et essayiste. À travers douze récits autobiographiques, elle retrace le passage du temps dans l’environnement et en nous, en examinant des artefacts anciens, des paysages de rêve et des souvenirs qui émergent à la lumière, et ce qu’ils nous disent sur l’être humain dans un monde en mutation rapide.
Nous suivons Kathleen Jamie dans les musées de la côte est de la Grande-Bretagne qu’elle visite, et au fil de ses découvertes comme celles des reliques inuites magnifiquement travaillées, trouvées lors de fouilles archéologiques auxquelles elle participe dans une communauté Yup’ik en Alaska.
Là, le permafrost en fusion rapide expose des objets fabriqués à partir de bois de caribou, de pierre, de bois et d’ivoire de morse il y a 600 ans. Une culture retrouvée sur la ligne de front du climat, où les hivers sans glace et la toundra brûlante sont la nouvelle norme.
Jamie est frappé par l’habitude yup’ik (inuit) d’être attentif, et la cohésion qu’elle nourrit. Dans ce village où se situent les fouilles, elle a « remarqué que les gens remarquent », en supposant que « l’endroit tout entier doit être en conversation constante avec lui-même, en détenant collectivement le savoir ».
Et comme elle le montre tout au long de ces récits, c’est en regardant – en s’attachant à la nature et à la culture, au passé et au présent – que l’on trouve sa boussole.
Remarquer puis raconter c’est justement ce que Kathleen Jamie réussit impeccablement. Comme il nous est possible de remarquer qu’en parlant des autres, elle dresse en une phrase un portrait d’elle-même: « J’aimais la facilité et l’absence de gêne avec lesquelles les gens parlaient des animaux et des oiseaux de la terre. Ils ne donnaient pas d' » informations », ils racontaient des incidents, des anecdotes. C’était comme aborder un sujet de biais, pas directement. »
Remarquer puis raconter c’est apprendre des autres. Pour collecter, je suppose, autant de détails et de descriptions apparemment ordinaires pour celui qui en est familier, l’écrivaine use de malice parfois: « Un jour j’ai demandé à Mike: « Tu sais quel est cet animal mort, sur la plage près de la crique ? C’est un morse ? » Je voulais que ce soit un morse. « Non, c’est un phoque barbu. » Ce que je veux dire, c’est que je savais que j’aurai une réponse, et que ce ne serait pas: « Quel animal ? Je ne sais pas. Je n’ai pas remarqué. » »
Etonnée, curieuse sur la vie des êtres et des choses, et soucieuse de la perte des cultures locales, des très anciennes comme celles d’aujourd’hui en grande mutation: « Quiconque perd sa langue, perd son univers » a écrit le poète gaélique Iain Crichton Smith. On peut se demander si l’inverse est également vrai. Si la perte d’un univers familier se traduit par la perte du langage. L’univers des choses, de la transformation, de la terre et des animaux et des histoires et du travail des mains. »
Et écrivaine-voyageuse en ce sens: « Certains disent que le temps est une spirale, un incessant va-et-vient, que des évènements distants peuvent faire volte-face et se rapprocher. »
D.D
Ce qui a été dit et écrit ici-même autour de Kathleen Jamie.