Jean-Loup Amselle, »Du pouvoir sur la vie au pouvoir sur la mort. »
Écrit par admin sur 8 avril 2020
Comme la pandémie actuelle du Covid-19 le montre, un nouveau modèle se met en place, celui du darwinisme social dans lequel la survie des plus aptes devient la préoccupation essentielle. Le corollaire de cette position est que les plus faibles doivent céder la place, soit dans le cadre de l’« immunité de groupe » qui fait fonction de tri avec un grand nombre de contaminés et de victimes, soit dans le cadre d’un tri effectif où l’on décide de n’intuber et de ne réanimer que les malades les plus jeunes – ou les moins vieux – en raison du manque de respirateurs et de lits de réanimation.
Le pouvoir médical n’est donc plus un pouvoir sur la vie mais un pouvoir sur la mort des individus concernés. Contrairement à ce qui passait depuis le XIXe siècle, il ne s’agit plus désormais de « faire vivre et laisser mourir » les citoyens mais de « faire vivre le capital » et de « faire mourir » les vieux et les improductifs. En témoigne l’appel à la réouverture des entreprises indépendamment des conditions d’hygiène et de distanciation requises, appel entrant en contradiction avec les injonctions à rester chez soi. En témoigne également l’encombrement des quais de la gare du Nord du RER à 6 heures du matin contrastant avec les rues désertes de Paris dans la journée.
Le triage a donc pour effet de séparer ceux qui sont destinés à survivre de ceux dont la vie n’a pas d’importance, que l’on peut sacrifier sur l’autel des actionnaires qu’il s’agisse des inaptes (personnes âgées et malades) ou des indésirables (migrants, réfugiés). Bref, du bio-pouvoir de l’Etat, on est donc passé à un « thanato-pouvoir » ou à une « thanatocratie ».
Jean-Loup Amselle, anthropologue et directeur d’études à l’EHESS – extrait de « bio-pouvoir » ou « thanatocratie » ?- L’Obs, le 08 avril.
Notre entretien avec Jean-Loup Amselle, à retrouver ici.