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Hameçon à morue. N°630

Écrit par sur 7 mai 2014

C’est un hameçon à morue avec leurre en plomb coulé sur la tige. Un vieil hameçon équipé de deux crochets de grande taille et d’un plomb assez lourd figurant un poisson. Retrouvé dans la vieille cabane aux outils du jardin des Courtils Collet. Entre scie égoïne et sécateur, accroché à un vieux clou, embobiné dans un long cordage séché.

Même si à première vue, cet objet si simple, semble en soi assez étrange, c’est justement cette simplicité qui est étonnante. « A force de toucher pourtant, et sur les traces infimes de sa vie ancienne, une relation se fait jour entre la nudité même de l’objet et les souvenirs ou sensations qu’il éveille. Sans doute ne parle-t-il pas tout seul : s’il est muet d’abord, le jeu consiste à regarder suffisamment cet objet pour faire peu à peu se déployer l’atmosphère qui le nimbe en secret au delà de ses mensurations. » écrit Jean-Loup Trassard –Objets de grande utilité-Editions Le temps qu’il fait.

Ainsi ce vieil hameçon retrouvé dans ce village de Saint-Pierre-de-Plesguen, soit à une dizaine de kilomètres des bords de Rance, renvoie illico aux travailleurs de la mer. A ces métiers anciens ingrats, forts pénibles. Et dangereux. Pour lesquels étaient recrutés beaucoup d’hommes de l’intérieur des terres, ceux-ci abandonnant le travail de la terre pour celui de la mer. Par -15, -20 degrés. Pour fuir la pauvreté. Les trois quarts des Terre-Neuvas venaient de pays ruraux très pauvres, à 20-30 km à l’intérieur des terres. Sur 2500 Saint-Pierrais, il est estimé qu’un quart d’entre eux vivaient de la grande pêche.

Embarqués en février sur des trois-mâts goélette appelés Terre neuvas (de 45 m de long pour 9m de large) –en début XXème, la flotte approchait la centaine à Saint-Malo pour quarante à Cancale, l’on parle de probablement 8000 à 10.000 hommes. Pour travailler en mer cinq mois ou six mois, « davantage si la pêche était mauvaise ». Et quelle mer ! La tempête et les icebergs… D’où beaucoup de naufrages de bateaux. Dont ces doris dans lesquels les Terre-Neuvas étaient envoyés pêcher à la ligne, qui subissaient une avarie ou se perdaient dans la brume sans espoir de les retrouver. Au plus tard mi-septembre, les pêcheurs terre-neuvas rentraient à la maison pour redevenir cultivateurs l’hiver. Ils ne passaient ainsi aucun printemps chez eux.

Eh bien, ce que nous contemplons à travers cet objet est le travail humain qui fut l’un des plus pénibles de cette région. Un travail de forçats. Sur les bancs de Terre-Neuve. Comme l’indiquent nombre de témoignages. Notamment celui-ci :

« Par un temps calme, la relève des lignes est déjà une opération qui demande des efforts considérables. Mais tirer, pied par pied, d’une profondeur de 70 à 100 mètres, des kilomètres et des kilomètres de lignes, debout dans des doris chancelants, crossés par les lames, brûlés par les rafales, en garant leurs doigts gourds des deux mille morsures d’hameçons, alors que souffle la bise ou que tombent les bruines glaciales, et qu’au poids ordinaire des lignes s’ajoute le remorquage de la chaloupe contre le vent et contre la lame, c’est là un travail littéralement exténuant. Et cette levée des lignes, qui dure quatre heures en moyenne, peut en atteindre de huit à douze, les jours de dur tirage.

Pour qui a vu l’état des éléments pendant certaines sorties des doris, il y a là quelque chose d’absolument prodigieux. L’éloge du doris comme embarcation de mauvais temps n’est plus à faire ; mais quand on pense que ces braves gens restent souvent pendant des heures sur cette mer convulsée, avec une houle telle qu’à bord on ne peut tenir debout qu’en s’agrippant à quelque chose, traînant leurs morues pendant deux ou trois milles à force de bras, malgré le vent, malgré le courant, dans une embarcation chargée à quinze centimètres de plat-bord, on est contraint de voir en eux des prodiges de courage, d’endurance et d’adresse. »

L’aventure de la pêche morutière ayant duré cinq siècles sur le littoral breton, il est fort à parier que cet hameçon fut ramené par l’un des habitants de ce lieu, ce jardin, ces Courtils que nous maintenons avec efforts beau comme un morceau de paysage. Sur un massif granitique qui n’a jamais offert plus à des générations d’hommes que de faible moyen de subsistance : la pêche à la morue en atlantique-nord, le jardin, une maigre ferme avec au mieux une vache et un cochon, et le travail dans les carrières de granit.

« Ce que nous contemplons en effet dans le monde, c’est le travail humain, autrement dit la succession invisible mais partout présente de générations d’hommes au travail sur une même terre. C’est ainsi en effet qu’une portion de l’espace est devenue paysage, qui n’est pas seulement une « vue » ou un « point de vue » mais l’effet d’une action, celle de millions de mains anonymes, qui ont façonné, sculpté, creusé, édifié, disposé les arbres, les champs, les murs, les maisons, les routes, les vignes. Au prix de cette « effroyable peine » que Fernand Braudel lit dans chaque parcelle d’un territoire habité. C’est elle qui a irrigué un espace humain de part en part : espace de travail, d’œuvre et d’action. » écrit joliment Danièle Sallenave dans son papier Le travail âme du monde publié dans le Un. N°4.

Cet hameçon à morue dit de 2e pêche daterait du 4e quart 19e siècle. Pour lequel le poisson gravé dans le plomb n’avait rien d’un effet décoratif – par exemple, pour touriste en quête de belle brocante d’art populaire pour se désennuyer passagèrement le temps d’un week-end sur la côte ou sur e-bay- mais constituait un leurre efficace une fois accroché à une grosse ligne de traîne. Le plomb en forme de poisson mesure 4 cm de large et 17 de long. L’hameçon forgé mesure avec son ardillon 9 cm. L’ensemble mesure 22 cm.

Dont l’usage est ainsi décrit :
« Chaque gréement de pêche est composé de deux ou trois pièces de ligne en chanvre de 100 à 133 mètres chacune, raboutées par une épissure et lovées dans une manne en clisse de châtaignier. L´engin est lesté d´un plomb oblong de sept livres, traversé dans sa partie basse par une tige métallique (la balancine), dont la longueur est de 70 cm. A chaque extrémité de cette « arbalète », le pêcheur fixe un avançon de 3 mètres en coton blanc, avec un hameçon, maintenu verticalement par un plomb moulé dessus en forme de poisson. La ligne est filée sur une pièce de bois en forme de Y ou un cabillot entaillé, comportant une encoche et plantée dans la lise du côté au vent, tous les trois mètres. Cette pièce porte le nom de mèque. La première pêche se faisait entre deux eaux, « en trifez », à des profondeurs de 50 à 100 m. En deuxième pêche, on ne pêchait que sur le fond. Afin d´attirer le poisson lors de la pêche « en trifez », la ligne est animée d´un mouvement de va-et-vient : on dit alors « mèquer » ou « scier du bois ».
Pendant le temps de pêche, le navire marche en dérive, grand voile carguée, trinquette à contre, si besoin, parfois avec le hunier, par mer trop calme, sans vent. La goélette est dite « à dreuz », en dérive, de travers. »

Chaque pêcheur avait deux lignes et, pendant qu’il en tirait une, il jetait l’autre à descendre. Selon l’habilité et l’abondance du banc un pêcheur, qui ne pouvait en pêcher qu’une à la fois, pouvait attraper jusqu’à trois cents morues par jour, mais « cela lasse beaucoup les bras ». A l’époque la morue était un poisson pouvant mesurer jusqu’à 1,5 m et peser 60kg (ce qui n’est plus du tout leur gabarit de nos jours) qu’on appâtait par un morceau de hareng, parfois de maquereau, des tripes de morue ou de coquillages extraits de l’estomac du poisson pêché.

« A regarder suffisamment cet objet », depuis la vieille cabane en bois, il me retrace tout bonnement l’histoire sociale du pays. Et c’est avec d’autant plus de force qu’il se déploie, qu’il nous embarque. Et qui répond de lui-même avec fraîcheur à cette question : que peut encore vouloir dire habiter quelque part ?

D.D


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