Festival photos La Gacilly, ou le beau dimanche de la photographie. N°694
Écrit par D.D sur 29 juillet 2015
Il me vient l’envie de dire l’intérêt et le plaisir que j’ai trouvés à ce festival photos en cette « petite cité de caractère » du Morbihan. Présenté sur ses deux côtés: l’un, le reportage, les questions de notre temps; l’autre, la poésie, l’imaginaire.
Côté reportage, un thème: Comment Nourrirons-nous la Planète au 21ème Siècle ? Le Festival Photo La Gacilly pose la question de l’autonomie alimentaire.
Qui repose là partiellement -pour l’éveil des consciences- sur les épaules du photographe américain Peter Menzel, qui a parcouru 24 pays pour capter en images la façon dont les hommes se nourrissent d’un point à l’autre du globe.
Ceci en s’installant dans le quotidien de dizaines de familles ordinaires. Pour y saisir en images leurs modes d’alimentation. Sur chacune d’entre elles le contenu d’une semaine de courses accompagné des individus qui composent la famille. Évidemment, pas la peine de ressortir les économistes et leurs statistiques pour nous décrire la situation : l’abondance des pays occidentaux face à la pauvreté du sud. Par ces images les contrastes sautent aux yeux.
Les images sont d’une grande qualité et le thème abordé est d’une chaude actualité. Il précise bien l’enjeu: « Comment subvenir aux besoins d’un monde qui comptera plus de 9 milliards d’habitants en 2050 ? » (lu en préambule). Les bords de l’Aff, qui prend sa source en forêt de Paimpont, l’architecture récente (bien vue) et ancienne, la nature omniprésente, les expos gratuites et populaires, ici tout apparaît presque parfait.
Cependant dans cette douce galerie de photos essentiellement en plein air, réside une grande zone d’ombre. Une partie cachée de première importance.
Car dans ce défilé d’images, il eût été opportun que soit représenté ce banditisme bancaire et le monde de la spéculation (les fonds spéculatifs « hedge funds ») sur les produits de premières nécessités (maïs, blé, riz…). Bref, ce que dénonçait à notre micro à juste titre Jean Ziegler, ancien rapporteur spécial à l’ONU pour le droit à l’alimentation. Document sonore indispensable afin de compléter la visite avec lucidité. A ré-écouter ici.
Cette omission d’une représentation photographique de ce qui porte en elle un ordre prédateur et cannibale de l’homme et des écosystèmes, soit pour reprendre les termes de Jean Ziegler : la dictature des 10 grandes sociétés transnationales privées (exemple cité: Bolloré – Aïe! un proche d’Yves Rocher par le Club des Trente) qui, en échappant à tout contrôle, ont la mainmise sur 85% des transactions mondiales sur les produits de base (maïs, blé, riz…). Et donc décident chaque jour de la vie ou de la mort par la faim de certaines populations.
Ainsi affirmait-il « Les prix des trois aliments de base, maïs, blé et riz – qui couvrent 75 % de la consommation mondiale – ont littéralement explosé. La hausse des prix étrangle les 1,7 milliard d’humains extrêmement pauvres vivant dans les bidonvilles de la planète, qui doivent assurer le minimum vital avec moins de 1,25 dollar par jour. Les spéculateurs boursiers qui ont ruiné les économies occidentales par appât du gain et avidité folle devraient être traduits devant un tribunal de Nuremberg pour crime contre l’humanité. » (Bastamag)
Pour le moins, cette occultation apparente -comme le nez au milieu de la figure- d’une question décisive (voir doc Arte), malmène voire ébranle la belle devise prometteuse inscrite au fronton de ce festival « éthique, humanisme et sens ».
Côté poésie, invitée à cette édition 2015 la photographie italienne. Par le biais de ses plus grands noms. Parmi eux le peintre, poète et photographe autodidacte Mario Giacomelli. Voici un entretien de lui -que j’adore- qui, une nouvelle fois, peut compléter la visite:
« -Il paraît que tu n’as pas un appareil comme tout le monde, Leica, Nikon ou Kodak ? Je ne connais pas les appareils des autres. J’ai un appareil que j’ai fait bricoler, qui tient avec du scotch, qui perd des pièces. Je ne suis pas un passionné de mécanique. J’ai cet appareil, toujours le même, depuis que j’ai commencé à faire des photos. Il a vécu avec moi, il a partagé de nombreux moments de mon existence, bons ou mauvais. S’il venait à me manquer… enfin, la seule idée d’avoir à vivre sans lui me serre le coeur. -Mais d’où vient-il ? Je l’ai fait bricoler. En mettant en pièces l’appareil d’un de mes amis et en faisant enlever ce qui me semblait inutile. Pour moi, il faut seulement la distance et l’autre chose -comment l’appelles-tu l’autre chose ? Je ne sais pas comment ces trucs fonctionnent et ce qui compte est que la lumière ne passe pas. C’est une boîte sans rien. -Et quel film utilises-tu ? Le film que je trouve. -Du 35 millimètres ? Ne me demande pas des millimètres! J’utilise les grands films, pas les petits. Je n’ai jamais utilisé le petit format. -Donc du 120 ? Ne me parles pas de chiffres! Je sais seulement que le six-neuf devient du six-huit et demi. -Donc tu fais douze photos par bobine ? J’ai oublié mais je crois que c’est plutôt dix. Dix, pas douze. C’est important qu’il n’y en ait pas trop. Une fois j’ai gagné un concours, et on m’a fait cadeau d’un appareil de petit format. Mais je n’ai pas pu m’en servir, c’était trop rapide, il ne participait pas de la même manière, il ne me laissait pas le temps de réfléchir, je déclenchais pour rien. Il me faisait perdre ce qui fait ma plus grande joie, l’attente, la préparation de l’image, l’avancement du film, le remplacement de la bobine. Mon appareil à moi est exactement ce qu’il me faut, il convient à mon caractère. » (Publié dans Encore-1992).
D.D