Ethique. N°460.
Écrit par D.D sur 13 janvier 2011
Yannick F. jeune artiste-comédien breton qui travaille à Paris me disait samedi combien ses collègues étaient complètement drogués à l’iphone. A tout moment près d’eux il ne le quitte jamais, une véritable addiction avec impossibilité de s’en décrocher. C’est la dépendance au flux tendu. Problème pointé par l’ami Yannick: comment rester soi-même face à ce déferlement envahissant de courriels, msm, etc ? « Quand les amis parisiens accros à l’iphone sont chez moi à Taden, ils me disent » Mais on est en Pologne ici! » Forcément la connexion au réseau y est d’1 méga et toujours pas de wi-fi, wimax, 3g .., alors qu’à Paris elle est de 1OO mégas avec 400 bornes wifi réparties dans les jardins, mairies, bibliothèques ou encore musées. »
Comment rester soi-même ? Mais est-ce bien cette question qui convient ? La plus pertinente ne serait-elle pas plutôt celle-ci : comment cette génération « nouvelles technologies » ou la Nouvelle Génération Technologique peut-elle construire autre chose qu’un monde super-technologique? Ou autrement dit: comment des sujets peuvent-ils faire l’histoire tout en étant faits par elle ?
Je propose une piste. Voici : pourquoi pas avec les vieux qui ont connu un autre monde quand il n’y avait pas de téléphone fixe à la maison, un monde sans télé couleur, ni même de télé tout court, sans même de machine à laver ni de frigo, un monde à garde-manger et à bassine pour se laver, un monde où seul le fourneau chauffait la totalité de la maison, etc ? (lire cette autre chronique). Bref, des gars par exemple comme Claude natif de Ploumoguer, là où ses parents brestois se réfugièrent pendant la guerre. Explications.
Le père de Yannick, l’ami Claude F. retraité de l’éducation nationale réside à La Fresnais, loin des iphones et des ordinateurs. Son plaisir à lui il le trouve dans la philosophie. Il suit les cours hebdomadaires d’un prof de philo à l’Université du temps libre de Saint-Malo. Avec au programme depuis depuis années, l’Ethique de Spinoza. Mais voilà depuis Noël, Claude est équipé d’un boitier live-box et d’un pc portable. “Oh! Je m’étais mis à l’ordinateur quand c’est arrivé au collège il y a 15 ans! J’ai un peu l’esprit logique même si ça ne se voit pas, j’aimais ça! Bon, je n’ai jamais touché à un ordinateur depuis, mais je sens que ça va me plaire.” Bien que toujours emballé, Claude s’attend dès l’ouverture de l’appareil, à un affect joyeux, une jouissance de vivre selon la sagesse spinoziste.
A Paris, Yannick son fils, écoute les cours de philo qu’exerce Raphaël Enthoven sur France Culture. Il reçoit en flux rss (mises à jour) tous les podcasts de ses émissions. Un certain nombre d’entre elles portent sur l’étude de Spinoza justement. Yannick les a classé. “Je te les enverrai par mel”, dit il à son père. Claude ne connaît pas encore l’usage qu’il en fera de son pc portable. Mais enfin, voilà, son fils va lui adresser ce qu’il faut pour qu’il creuse plus profond encore l’éthique, c’est-à-dire la sagesse, de Spinoza à la maison. Ce que Claude partage avec Spinoza, me dit-il, c’est le sentiment d’être immergé dans le monde, d’en faire partie, le monde s’étendant depuis le plus petit brin d’herbe jusqu’au étoiles. L’homme étant également une partie du monde, il partage son adhésion à la Nature infinie.
Du coup je suis curieux de voir l’ami Claude assouvir ses vieilles curiosités quand il découvrira les hyperliens pour vadrouiller au fil des pages dans le vaste univers de la toile, ça va lui plaire. Je sais d’ici qu’il ira gratter du côté de Brassens, Claude chante et vénère le grand Georges. A travers ses lunettes, la voie lactée, les nébuleuses, les planètes cachées, les explorations, les apparitions, au fil des clics les constellations…
Bon, dépouillons-nous de tout ce avec quoi la société de consommation nous aliène. Inversons les valeurs. Et remarquons que c’est au fil du temps suite à un apprentissage long que j’ai pu découvrir ce qu’est le net, quoique j’en ignore sans doute l’essentiel. Plus d’une décennie déjà dans un processus quotidien d’initiation et de découvertes qui produit des automatismes et de la banalité. Avec le temps, on s’y fait, ça devient ordinaire, familier. Bon, c’est comme tout, comme l’arrivée de la télé, des autos, etc. .
Mais pour Claude c’est autre chose. C’est un homme neuf ! Non aguerri. Tout frais, tout rose, un bambin. Qui finalement va découvrir tout ça. Oui, d’accord, le copain Claude n’est plus à une découverte près. La télé, il l’a vu venir, l’auto aussi, le frigo évidemment, etc. Nous fera-t-il aimer ce qu’il aime, et nous enseigner le désir de réciprocité ? Comme éthique vécue ça va de soi. Ah! du coup voilà un conatus qui me fait bouger pour écouter l’éthique spinoziste revue par l’économiste Frédéric Lordon.
D.D