Disparition du penseur de l' »être-en-commun ». N°1007
Écrit par admin sur 25 août 2021
« L’homme a besoin de sensible, de sens, de signes justement ; et notre civilisation tourne à l’absence de signes. Elle est bourrée de signaux : c’est vert, c’est rouge, c’est positif, c’est négatif, mais quelque part, le sens a été perdu. Tout ce que cette période signifie, c’est que nous recherchons du sens. »
Jean-Luc Nancy, philosophe – entretien à lire ici.
Puisqu’en ces années-ci la culture aura été jugée « non essentielle », pareil qualificatif ne peut plaire qu’aux talibans et à leurs équivalents christianisés de nos contrées européennes. Et du même coup, pareil jugement « gouverne-mental » s’abat évidemment sur l’idée même de démocratie.
Par conséquent, si l’action culturelle est à ce point paralysée comme elle l’est aujourd’hui, identifiée et catégorisée, par ordre d’Etat, de non-valeur essentielle, telle considération s’abat froidement sur la pensée, et donc sa disparition, de Jean-Luc Nancy, l’un des penseurs les plus importants de la philosophie contemporaine, penseur de l’ « être-en-commun « . Penseur du sans-valeur parce que hors de toute valeur mesurable, penseur de l’incalculable.
Or, ce qu’entre autres le théorien qui s’est éteint lundi, nous enseignait, c’est qu’il faut « savoir que la démocratie n’est pas une assomption de la politique en oeuvre. » (Jean-Luc Nancy – Vérité de la démocratie).
Elle ne marque pas la montée au ciel de la politique du jour. Nancy poursuit ainsi : « On me dira : vous déclarez donc ouvertement que, pour vous, démocratie n’est pas politique! Et avec cela, vous nous laissez en plan, privés de moyens d’action, d’intervention, de lutte, vous berçant dans votre « infini »… Tout au contraire. (…) C’est en ce sens que je parle d' »esprit » de la démocratie : non pas d' »un » esprit qui distinguerait sa mentalité, son climat, sa postulation générale, mais du souffle qui doit l’inspirer, qui l’inspire en effet si, du moins, nous savons nous l’approprier, ce qui demande que nous parvenions à le ressentir. »
Or là où ce souffle l’inspire, où nous parvenons à le ressentir au mieux dans la réalité, c’est précisément dans ce qui a été jugé par le « gouverne-mental » comme « non-essentiel », la culture. Et à travers celle-ci comme l’indique Nancy « toutes les formes de ce qui se nomme « art ». Que ce soit le rock ou le rap, les musiques électroniques, les vidéos, les images de synthèse, le tag, les installations ou les performances, ou de nouveaux interprètes pour des formes revisitées (comme le dessin ou la poésie épique), tout témoigne d’une fébrilité d’attente, d’un besoin de saisir à neuf une existence en pleine trans-formation. (…) Et que cela passe par tous les égarements possibles ne fait pas argument suffisant. Car cela passe aussi par toutes les exigences, par tous les appels possibles. Il faut s’exercer à écouter. »
Si tout témoigne d’une fébrilité d’attente, l’on ne peut s’empêcher ainsi de faire le lien, le point et les comptes, avec le principal vecteur de l’esprit démocratique dont le souffle l’inspire. Qui est le précieux secteur non-institutionnel associatif des arts et de la culture. Lequel, porté par des bénévoles ou de jeunes artistes, se voit chaque jour un peu plus rabaissé, déconsidéré, par le coup de massue « gouverne-mental ». Voire bien pire, affectant peut être durablement cet « être-en-commun » assigné à l’arrêt, connaissant souvent ruine de l’estime de soi, voire de la possibilité même du sens. Voici une interrogation bien réelle sur la vérité de la démocratie. Quel qu’en soit l’événement historique d’ampleur.
« « Démocratie » est d’abord le nom d’un régime de sens dont la vérité ne peut être subsumée sous aucune instance ordonnatrice ou gouvernante mais qui engage entièrement l' »homme » en tant que risque et chance de « lui-même. » (Jean-Luc Nancy – Vérité de la démocratie).
D.D
A lire aussi les extraits du même auteur sur Lieux-dits, ici.