Château de cartes. N°2.
Écrit par D.D sur 27 novembre 2009
Les politiques des trente dernières années ont eu pour fil conducteur la déréglementation de tout ce qui entravait le capitalisme. Avec les politiques de démantèlement de l’Etat-Providence et de prise de pouvoir de la finance sur l’économie productive ( l’invention des stock-options versés aux cadres des entreprises ont, sur ce point, été décisifs dans la mesure où les actionnaires soumettaient les dirigeants d’industrie en indexant leurs revenus aux cours de bourses ), une partie massive des richesses créées, qui allaient auparavant aux salaires des travailleurs, était reversée à la finance, aux capitalistes. La question qui vient à l’esprit est de savoir comment tout cela a pu tenir aussi longtemps ? Le problème qui se posait en effet était de faire en sorte que la croissance économique, fondée sur la consommation, dans nos pays, puisse se poursuivre, bien que les revenus du travail soient revus sans cesse à la baisse. Si je touche moins de revenus, si les services « publics » dont je bénéficiais auparavant gratuitement, je dois les payer intégralement désormais, mon budget se ressère, donc comment est-ce que je peux consommer toujours « plus » ? Comment a été compensé cet écart ?
Tout simplement par les crédits et l’endettement accordés par les banques. Pour le comprendre il suffisait de s’y rendre et voir avec quel empressement notre « conseiller(e) » proposait de nous vendre un prêt, sans s’assurer réellement que nous étions en mesure de rembourser. On voyait donc la remise en question de la gratuité de l’éducation, qu’à cela ne tienne, les banques proposaient des prêts étudiants, remise en question de la santé gratuite, qu’à cela ne tienne les assureurs et banques fournissaient leurs « produits » assurance-vie, remise en question du logement social, qu’à cela ne tienne, prêts au logement ( et subprimes aux Etats-Unis ), les salaires n’augmentaient plus, qu’à cela ne tienne prêts à la consommation, etc… On voyait donc, depuis la fin des années 70, se développer ce double-mouvement : remise en question des services publics d’un côté, incitation à l’endettement de l’autre. Tout cela respirait ensemble. M.Lazzarato l’explique bien dans « Le gouvernement des inégalités » » Le capitalisme contemporain, d’une part encourage les individus gouvernés à s’endetter […] en ôtant à l’endettement moléculaire toute charge culpabilisatrice; d’autre part, il culpabilise les mêmes individus en les rendant responsables des déficits molaires ( de la Sécurité sociale, de l’assurance maladie, de l’assurance chômage, etc.), qu’ils doivent s’engager à combler. » Les slogans publicitaires ne disaient-ils pas sans arrêt que les banques était toujours là pour nous aider ? C’est d’ailleurs là que se situait une des faiblesses de la critique à cette politique : on critiquait ( légitimement ) ce qui disparassait mais on oubliait de s’attaquer ce qui apparaîssait : l’emprise des banques et de la finance sur les vies. Transformation silencieuse, aussi banale et quotidienne qu’une publicité dans la rue. La chose était considéré comme de l’ordre du privé, l’endettement était un choix personnel. La politique n’avait rien à faire là-dedans. Et plus les gens voyaient leur revenus ( directs ou indirects ) diminuer, plus ils avaient recours aux crédits.
Donc les banques voulaient nous « aider » » dans un monde qui changeait ». La personne qui se présentait en face de vous au guichet devenait votre « conseiller », prêt à vous « soutenir » dans vos projets. Pourtant elles ne prêtaient pas gratuitement, les banques, il fallait non seulement les rembourser, ces prêts, ce qui rendait redevable, mais en plus payer les intérêts, qui menacaient si vous n’étiez pas dans les clous. Emprunter auprès de la banque, c’était en effet passer sous son commandement… vieille histoire. En faisant miroiter la possibilité d’obtenir de l’argent disponible immédiatement, les banques soumettaient les « vies » et le travail des gens. Tous ces crédits permettaient aux banques de privatiser des vies qui étaient dans le même temps incités à consommer massivement. Destructuration, donc, de tout ce qui était « communisé » : santé, éducation, logement, culture…, histoire de permettre à la logique d’accumulation du capital de coloniser de plus en plus les existences. Maurizo Lazzarato : » Il s’agit d’installer les gouvernés dans un système de « dette infinie » : on n’en a jamais fini avec la dette dans le capitalisme financier, tout simplement parce qu’elle n’est pas remboursable. » Installer les gens dans un système de dette… nous étions là en plein dans la stratégie du capitalisme dont on peut dire qu’il est avant tout un usage dévoyé de l’argent. L’argent devient capital lorsqu’il sert, pour celui qui prête, non pas à acheter des choses utiles à la vie quotidienne, mais sert à être prêté de telle manière que la somme revienne amplifiée par le jeu des intérêts. On le sait, celui qui emprunte doit s’acquitter, par son travail, de ces intérêts en plus du remboursement de la somme initiale. Mais le capital ne se contentait plus d’avancer de l’argent permettant à une affaire de créer des richesses…qu’il s’appropriaient par la suite. Il allait plus loin désormais. La logique était débridée, le capital était prêté pour la vie au quotidien, la consommation qui, en soi, ne produisait rien. En somme les financiers faisait leur profit, leur beurre lorsque l’emprunteur achetait sa baguette, son éducation, ses médicaments, ses gadgets aussi… Soyons pompeux, du profit sur les conditions mêmes de reproduction de la force de travail.
Le problème dans tout cela, c’est que l’argent allait toujours plus au capital et de moins en moins là où il avait son utilité. Avec cette accumulation des richesses, il cessait d’être là où il était requis. Et le surendettement, du coup, la pauvreté en somme, était l’image en négatif de la concentration démentielle de l’argent. Paul Jorion explique dans « L’argent mode d’emploi » : » plus il y a concentration du capital entre quelques mains seulement, plus le système dans son ensemble devient sensible à la capacité ou non de ceux qui ont reçu les avances de les rembourser à échéances, qu’il s’agisse de prêts à la production aussi bien qu’à la consommation ». Et c’est au point où la situation était la plus tendue, là où les conditions d’endettement étaient les plus dures pour les travailleurs et donc les plus rentables pour le capitalisme, celles des subprimes ou des crédits revolving, que cela a craqué. Jusqu’à ce que les gens ne puissent plus rembourser. La logique était devenu intenable, le surendettement s’est mué en insolvabilité. Il y a un an le jeu s’est détraqué parce que les dés étaient pipés. Et le chateau de cartes a commencé à s’écrouler laissant progressivement la place à la réalité sur laquelle était fondé ce jeu. Et chaque jour désormais la nature antidémocratique du capitalisme nous apparaît plus sensible.
M.D
Re-château de cartes
« Transformation silencieuse » écrit MD.
« Transformations silencieuses » écrit François Jullien. Discussion jusque fort tard dans la nuit avec lui la semaine dernière. Et cet écart qui lui permet de nous tenir en éveil : « De concept descriptif, la transformation silencieuse pourrait-elle devenir un art de gérer ? Peut-on, autrement dit, faire des transformations silencieuses un concept qui soit stratégique, et même à vocation politique ?»
Concept qui conduirait à une pratique de l’érosion et de l’épuisement graduel de l’adversaire, (voir le discours de la gauche et des intellectuels de gauche actuellement) , à induire les comportements dont personne ne s’étonne, ne songe à s’étonner… « avec, de temps à autre, révélateurs sonores de ce tissage ininterrompu, sur lequel on a les yeux grands ouverts sans rien suffisamment y remarquer, un monde qui choit et s’éteint, un astre qui soudain éclate. »
Françoise.
29/11/2009-15:50