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Case prison. N°525

Écrit par sur 11 avril 2012

Vezin-le-Coquet (35). Mutinerie à la prison : quatre détenus en garde à vue. Voir Le Monde.

L’oubli trop souvent des vies détruites qui gisent derrière ces murs. Il y a des hommes derrière les images des reportages, derrière les lignes des journaux et aussi derrière les sentences que le présentateur tv prononce sans émotion. Cette mutinerie est aussi un avertissement, une mise en garde à tous ceux qui imaginent la prison comme un hôtel et qui ne saisissent pas la dureté d’un plus ou moins long séjour derrière les barreaux. « Ils ont même la télé » !

J’ai assisté lundi à la représentation de « L’ancre. Un homme debout ». Une pièce de théâtre. C’était à Saint-Brieuc à la MJC du Plateau. Il s’agissait du récit autobiographique de Jean-Marc Mahy, en prison de 17 à 36 ans. Un jour la petite délinquance de l’adolescent a tourné à la tragédie. Deux morts. A la suite d’événements où – comme le dit la loi – ses actes ont entraîné la mort sans intention de la donner.

Aujourd’hui il a 44 ans. Il est en liberté conditionnelle depuis 8 ans et demi. Et lui-même jouant son propre rôle, montre sur scène la réalité de la condition carcérale. Dont ces années dans le bloc d’isolement total de la prison du Grand-Duché de Luxembourg. Le jeune criminel va y passer trois ans. Comment se refaire, se reconstruire après 19 années de cellule et deux homicides sur la conscience. Est-il possible d’oublier la souffrance des familles de ses victimes ?

À 19 ans, Jean-Marc Mahy fut condamné à la prison à perpétuité le 19 décembre 1988. En détention, il tenta de se donner la mort à maintes reprises.

Sur scène, son débit de parole est rapide, les mots s’enchaînent dans une cascade d’impressions, d’émotions et de descriptions. Les cris des gardiens, les incompréhensions d’un jeune délinquant face à la machine judiciaire, les doutes d’un petit gars qui ne se souvient même pas avoir tiré sur le gendarme, qui voudrait bien parler, qu’on lui explique, qu’on l’écoute, que ça s’arrête…

Plongée dans l’enfer pénitentiaire. Le pas du lion en cage, la position de la fouille. Les injonctions et les insultes des matons… Il écarte les jambes mécaniquement et tend ses grands bras sur le mur invisible. Il s’écartèle et se replonge devant nous dans ces situations humiliantes si communes pour un détenu. L’aller-retour de la gamelle et l’ouverture des lettres, il chante le bonheur d’avoir enfin une radio. Outil d’ouverture, outil d’instruction. Grâce à laquelle il va se reconstruire un monde et se maintenir dans la réalité, puis plus tard grâce aux livres et à l’écriture.

La « pièce-témoignage » nous prend au corps et nous renvoie à notre vision erronée des prisons – ces forteresses de béton et de barreaux qui broient leurs « pensionnaires » plus qu’elles ne protègent la société.

Jean-Marc Mahy n’est pas comédien. Il n’a d’ailleurs pas besoin de l’être. Il est depuis 2003, date de sa libération, devenu éducateur diplômé. Et puis il y eut une faille où se glisser, où se montrer, d’où prendre la parole. Le théâtre. D’où l’on peut parler publiquement de ce qui doit être dit. «…J’essaie de donner un sens à ma vie et de ne pas tuer mes victimes une seconde fois. Je ne demande pas que l’on me pardonne. Je paie le solde de ma dette ». Mais Jean-Marc Mahy veut témoigner. Il veut montrer, avec toute la pudeur et l’humilité de celui qui reconnaît ses fautes, la terrible vérité de l’univers carcéral, de ces jeunes types que l’on enferme, que l’on isole pour les punir, sans se soucier de qui ils sont, d’où ils viennent et de l’état dans lequel ils sortiront après avoir purgé leur peine. Même le curé de la prison ne croyait plus en lui.

La représentation c’est seul en scène, évoluant dans le seul espace reconstitué de sa cellule tracé au sol. Les murs de sa cellule de 9m2 sont marqués au scotch blanc. Seul décor. Avec aussi un tabouret. Sur lequel le comédien de sa propre histoire se dresse pour interpeller Dieu, ou s’affale pour penser à sa maman, à sa famille. Et encore à sa maman, toujours.

A la fin, quand il n’est plus comédien une fois la pièce finie, il revient s’assoir face au public et répond à ses questions. Soucieux de désamorcer la fascination de certains jeunes devant l’image de durs qui colle à la peau de ceux qui sont passés par le milieu carcéral. Il témoigne. Il s’adresse aux jeunes, là. Les cherche dans le public pour leur dire.

Pour leur dire. Et faire comprendre. Il témoigne d’une immersion en enfer dont on ne revient pas intact. La prison est un lien direct avec la violence et la souffrance de notre société et du monde. Les détenus sont des gens comme tout un chacun. Sauf qu’à un moment donné, leur vie a basculé dans la transgression et l’illégalité.

En tant que spectateur, nous sommes confrontés à une réalité. Nous sommes devant. Devant elle. Face à lui. Lui l’artiste comédien qui n’est pas artiste-comédien mais un comme-tout-un-chacun au destin tragique qui fait avec ce qui lui reste, c’est-à-dire les mots. Appelons-les les mots d’un ex-taulard, ou d’un tueur. Non, distinguo: appelons-les les mots d’un homme qui se reconstruit. Et qui compte sur eux. Pour le spectateur, pas facile d’arriver à mettre l’homme qui a tué dans ce qu’il jouait. Difficile de faire le lien entre l’acteur et la personne réelle qui a vécu ça. Effet troublant. Trop impressionnant. Pas très à l’aise.

Jean-Marc Mahy essaie ainsi de s’en sortir avec les mots. Seule issue pour le trop-plein. Dans pareille circonstance, là les mots c’est l’essentiel, c’est prouvé ça résiste. Contre l’inhumanité qu’il a subi au fond des quartiers d’isolement. Contre un destin difficile. C’est cela la parole. Chez lui, à qui manquèrent la parole et l’interlocuteur quand il fut propulsé dès 17 ans dans le grand rien de 9 m2, la conversation déborde et se dépose en écriture. Et théâtre.

Debout, il est homme debout grâce à la magie de l’écriture. Et du verbe quand il devient son seul compagnon de cellule. Toujours debout, malgré tout. Malgré la folie qui sait s’installer dans un crâne coincé dans un carré pour des gens qui tournent en rond. Tant mieux pour lui, c’est son avantage sur l’administration pénitentiaire, Mahy sait prononcer des phrases simples: « Désapprend-on jamais 19 années de cellule, de vacarme qui conduit à se faire mettre au trou pour trouver le silence, d’odeurs d’hommes entassés dans les établissements pénitentiaires surpeuplés, d’humiliations de fouilles au corps, répétées parfois à dix reprises lors des comparutions au palais de justice? Perd-on la mémoire d’une tentative de suicide, de l’isolement où rode la folie? Surtout peut-on enterrer les souffrances des familles de ses victimes alors qu’elles vous accompagnent sans cesse? »

Voilà il est belge et ça s’est passé en Belgique. Ou au Luxembourg. Bon, qu’importe. Maintenant comment va la France côté prisons? Voici quelques chiffres. Trouvés dans un rapport de la Cour des Comptes sur l’évolution de la population écrouée en France .

En 1981 : 40 365 écroués
En 1995 : 53 935 écroués

Soit, sur deux septennats Mitterrandiens, 13 570 écroués supplémentaires. Donc une moyenne de 969 écroués par an

En 2007 : 60 403 écroués
Au 1er juin 2011 : 73 277 écroués

Soit 12 874 écroués supplémentaires sur le quinquennat Sarkozyste. Donc une moyenne de 2574,8 écroués par an.

« Nous ne pouvons juger du degré de civilisation d’une nation qu’en visitant ses prisons », disait Dostoïevski. A lire le récent rapport du Comité européen pour la prévention de la torture, la situation dans les prisons françaises. Ce que dit ce rapport: « Traitements inhumains et dégradants », « abus de placement » en cellule d’isolement, « détenus attachés à leur lit » à quoi s’ajoutent la surpopulation, l’incurie médicale et psychiatrique et le manque de moyens consacrés à la réinsertion. Rien que ça!

La France présente le taux de suicide carcéral le plus élevé de l’Europe des Quinze. Hum! gros problème au « pays des Droits de l’Homme »… Au fait, à propos de l’élection présidentielle. La Ligue des droits de l’Homme juge nécessaire de rappeler qu’une personne détenue est un citoyen à part entière. Les personnes incarcérées qui ont conservé leurs droits civiques doivent en conséquence pouvoir exercer leur droit de vote. Ce n’est pas le cas.

D.D


Les opinions du lecteur
  1. Françoise   Sur   11 avril 2012 à 18 h 48 min

    « Je me vois
    dans une alvéole de la ruche
    en béton
    L’uniforme gris rayé
    et le numéro matricule
    inaltérable
    Trente ans à peine
    La barbe noire drue
    et de l’énergie à revendre
    Dix ans devant moi
    plus abstraits qu’un texte de Hegel
    L’écran obscur du plafond
    ayant remplacé le ciel
    la porte qui a oublié
    son usage d’antan
    le trou des toilettes à découvert
    et le gris catégorique des murs
    Je ne vois pas mes mains
    mon sexe
    Je n’entends plus ma voix
    que dans le sommeil
    peuplé de cauchemars

    Je ne suis qu’à moitié homme
    ai-je écrit autrefois
    en un raccourci
    qui tient encore la route »

    Abdellatif Laâbi. Zone de turbulences. Editions de la différence

  2. D.D   Sur   13 avril 2012 à 18 h 26 min

    Lancement du site http://www.carceropolis.fr :

    UNE INITIATIVE CITOYENNE POUR VOIR AUTREMENT LA PRISON

    Le 17 avril 2012 sera mise en ligne une plate-forme multimédia inédite, dont l’objectif est de proposer un nouveau regard sur la prison et ainsi inviter le grand public à la réflexion sur la condition carcérale en France.

    Comment fonctionnent les prisons françaises ? Comment se compose la population carcérale ? Quel est le quotidien des détenus et du personnel pénitentiaire ? Ces questions, pourtant nécessaires à la réflexion sur le sens et l’efficacité des peines d’emprisonnement, sont peu présentes dans les débats de la campagne présidentielle et plus globalement dans le débat public. Entre deux faits divers, le traitement réservé à la prison oscille entre fantasme, stigmatisation ou ignorance. Pourtant, beaucoup d’autres regards existent : de nombreux auteurs, réalisateurs et producteurs se sont intéressés au sujet, proposant des représentations variées et de réelles
    informations sur la nature de la condition carcérale en France.

    Convaincu que le sujet de la prison mérite une attention plus accrue, car il questionne le thème majeur du vivre ensemble, et soutenu dans sa démarche par des associations*, un groupe de citoyens bénévoles s’est attelé à regrouper sur une seule et même plate-forme web de nombreuses ressources,
    jusque-là éparpillées et parfois difficilement diffusables : reportages photographiques, reportages vidéo, web-documentaires, documents audio, …

    Les différentes œuvres, mises à disposition gratuitement par plus d’une trentaine d’auteurs**, sont proposées en accès libre et classées par thèmes (femmes, mineurs, travail, santé, culture…). Le site propose également la visite modélisée d’une prison, des infographies de chiffres clés, ainsi que des cartes présentant l’implantation des prisons en France et leur taux de densité carcérale. Cette plate-forme multimédia, qui a vocation à accueillir de nouvelles contributions, propose ainsi un
    ensemble de regards sur la prison, dans un unique but citoyen : permettre à chacun de se construire une opinion sur le sujet, et ainsi nourrir la nécessaire réflexion que doit mener notre société sur sa politique carcérale.
    ……………………………………………………………………………………………………………………………………………………

    Retrouvez-nous pour le lancement du site le mardi 17 avril 2012, à 18h30, en présence des auteurs et des associations partenaires.
    Centre Barbara, 1 Rue De Fleury, 75018 Paris
    contact presse : Cathy Mounier 06 17 35 97 47 cmounier@lafaceb.com
    contact projet : Julien Villalard 06 01 74 16 36 info@carceropolis.fr

    * LES ASSOCIATIONS PARTENAIRES
    Acat France . Act Up . Banc Public . Bibliothèque Philippe Soummeroff . Genepi . La Cimade . Observatoire international des prisons . Raidh .
    COMMUNIQUÉ DE PRESSE – 5 avril 2012
    Lancement du site http://www.carceropolis.fr

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