Au premier rang des nôtres.
Écrit par D.D sur 8 février 2005
Nous nous demandons ce que c’est que la vérité. Avant de quitter l’image -l’autre image, celle où nous sommes représentés- nous nous devions savoir où est la vérité. Paul Rebeyrolle l’a peinte, en lisière du monde.
Rebeyrolle, le juste. Et son exigence inquiète. Ne pas mentir, ne pas tricher, respecter le matériau travaillé. Par le grillage, les pigments, la colle, la ficelle, la tôle rouillée, ses enduits, sa peinture, les chiffons collés, surpeints, de paille de fer, de crin, de cartons, les beaux rebuts ici ou là, les peaux de blaireaux, la rudesse des sols, l’odeur de la terre mouillée, les eaux courantes, il cherchait à dire le vrai.
Ce que dit Conche: pour que l’on puisse parler de vérité et non simplement d’accord des esprits, il faut un contact avec le réel. Mais on reste trop souvent enfermé dans la sphère humaine. Séparés du monde sensible. Et Rebeyrolle le savait.
Je vous faisais part durant l’été 2003 de ma découverte des toiles géantes de Rebeyrolle à Eymoutiers, son maquis du Limousin. En voici mon expérience particulière, naïve. D’une attention ouverte, dans les salles, devant les toiles, je n’ai pas compris. Un grand point d’interrogation s’est dessiné subitement sur mon crâne chauve comme sur le front blanc du clown triste. Car voir vraiment ainsi suppose un état de liberté où le visiteur s’est désenglué du monde de la préoccupation. Puis une fois sortis de ce lieu magnifique en lisière des bois des sangliers, des truites et des chênes, nous nous sommes arrêtés pour casse-croûter sur un délaissé de chaussée. Au pied des arbres, sur un sol mi-enrobé mi-caillouteux mi-végétal agrémenté de fragments de sacs plastiques maculés de boue, parmi les couleurs des écorces d’arbres, les feuillages, l’ombre de ceux-ci, l’éclat du soleil, avec à l’oreille la musique d’un courant d’eau…L’endroit se situait à quelques kilomètres d’Eymoutiers, chez lui en fait. Là, j’ai compris sa peinture en percevant ce qui m’entourait, dans quoi je baignais là, considérant aussi que je n’étais moi-même en tant qu’homme au sandwich de volaille qu’une forme fugitive, éphémère, que s’était donnée ponctuellement la Nature universelle, omnienglobante.
Marcel Conche dit dans son dernier livre paru « Philosopher à l’infini » que « La Nature en elle-même restera toujours hors d’atteinte, car le logos ne peut saisir ce qui n’est pas logicisable et mathématisable. La Nature est comme un corps vivant qu’enveloppe un vêtement. Le logos scientifique saisira peut-être chaque fibre du vêtement, et comment toutes renvoient à toutes, formant un ensemble beau et harmonieux, mais le vêtement n’est pas le corps de la personne. Or, la Nature elle-même nous est donnée immédiatement en chair et en os, sous la forme du monde sensible, de sa diversité et de sa profondeur. » Le maquis aujourd’hui c’est ça. Et Rebeyrolle le savait.
Ici. Ici, en ces pages comme en ces ondes, nous nous plaçons sous la protection de quelques uns. Fétiches, ils donnent le sens, la musique. Au premier rang des nôtres, Paul Rebeyrolle. Par cette dédicace sur un catalogue -que m’a offert l’amie Françoise de Lieux-Dits, lors du vernissage de sa dernière expo sur le thème « Clones », le sentiment, l’action, la vie, qui viennent des mots simplement: « Pour Daniel. Paul Rebeyrolle. » Avec ces mots, m’a-t-on dit, au moment où il la rédigeait « Oh! j’ai oublié son l « , s’employant alors à le rajouter tendrement. Le froissement des mots de celui qui, est-il dit, était « l’un des plus grands peintres du XXème siècle ».
Quelques étincelles dans le regard du réfractaire: « La peinture doit être politique. » Ou encore: « Le monde est quadrillé par des villes, donc par la bureaucratie, par la mort. » Ou ceci: »La société capitaliste telle qu’elle est n’aura très rapidement plus besoin des artistes. » Ou cela: »Nous vivons dans une société autophage où nous passons notre temps à nous bouffer les uns les autres, au nom du pouvoir et de l’argent. » Ce qu’il revendiquait, aussi: « Un amour forcené de la nature, de la matière, des bêtes et des personnes ». Et affirmait: « Mon plus grand luxe, c’est de ne pas être un larbin. »
D.D