Agitato
Écrit par M.D sur 18 août 2011
Agitato n°30
Etrange agitation en cette fin d’été. Sans avoir eu le temps de reprendre le souffle, nous passons des vagues apaisantes et de l’ambiance estivale au spectacle d’une émeute financière. Sans transition aucune nous sautons ainsi du temps libre et serein des vacances pour replonger dans la réalité d’un monde en désuétude. Cette irruption de la crise en plein coeur de l’été et la panique qui se fait jour sur tous les écrans nous font mesurer à quel point le calme et la sérénité sont exceptions.
Que la finance connaisse une sévère correction ne serait en soi pas bien grave si nous ne voyions quelles conséquences cela aura pour le commun des mortels. Le krach est un peu comme une dépression brutale et immaîtrisable après trop d’abus et d’excès. Il marque là une perte de confiance dans les promesses passées et qui paraissent désormais intenables. Parce que ce qui est appelé la croissance économique s’est faite pendant des décennies à crédit, la crise qui se fait jour actuellement n’est que le surgissement d’une réalité qui avait été jusqu’ici remise à plus tard. Cette nouvelle crise financière signe simplement le retour du réel.*
Ce qui se dévoile brutalement aujourd’hui c’est la stratégie que le système capitaliste a empruntée ces trois dernières décennies pour pouvoir survivre. Ne plus payer le travail, accorder des crédits à ceux qui travaillent, et enfin leur imposer de rembourser les dettes. Entre-temps a eu lieu une accélération vertigineuse du rythme de nos sociétés où, pour des fins toujours plus grandes d’accumulation du capital, la société de consommation a créé de toutes pièces et redessiné sans cesse les besoins, les goûts et les désirs. Aux ressources qui venaient à se restreindre se conjuguait ainsi un temps de plus en plus frénétique de circulation des marchandises, impulsé par les conditions toujours plus strictes de la rentabilité financière.
Bien que la conscience de l’impasse collective et des crises soit présente dans la majorité des esprits, le système semble impossible à changer tant il paraît verrouillé. Il existe comme une dynamique de reproduction des mêmes excès, des mêmes erreurs à de l’image ce que disait Paul Valéry en 1935, de l’homme moderne :«[il] s’enivre de dissipation. Abus de vitesse, abus de lumière, abus de toniques, de stupéfiants, d’excitants… Abus de fréquences dans les impressions; abus de résonance; abus de merveilles ; abus de ces prodigieux moyens de déclenchement, par l’artifice desquels d’immenses effets sont mis sous le doigt d’un enfant. Toute vie actuelle est inséparable de ces abus. » Ce à quoi il ajoutait : « il en trouve à chaque fois la dose insuffisante ».**
Comme pour mieux conjurer le sort et prolonger un peu plus l’état d’apesanteur et d’illimitation qui régnait jusqu’alors, les mêmes politiques, les mêmes recettes -celles qui nous ont menées à cette situation – sont reconduites inlassablement. Pris dans cette course folle et sans que rien ne semble pouvoir venir la contrarier, le monde contemporain se dirige ainsi vers on ne sait quelle issue. Excès de vitesse, excès d’accumulation, excès de nouveautés peuvent faire craindre le pire. Un avertissement nous est adressé : « La démesure enfante le tyran. Quand la démesure, démesurément gonflée de chimères et D’imprudences, est montée au plus haut, c’est pour plonger soudain, les jambes coupées, inutilisables, dans un abîme fatal. Puisse au contraire le bien mené par le salut de la cité ne jamais sombrer. »***
Dans cette époque où cette frénésie et cet emballement pourrait bien être mise au service de l’effondrement, le sens de la mesure, de la modestie, ainsi que« cette paix essentielle des profondeurs de l’être, cette absence sans prix, pendant laquelle les éléments les plus délicats de la vie se rafraîchissent et se réconfortent. » semblent plus que jamais nécessaires. Autant de vertus que l’on retrouve dans ces moments rares et précieux de « repos dans l’absence, cette vacance bienfaisante, qui rend l’esprit à sa liberté propre ».**
* voir le blog de Paul Jorion, http://www.pauljorion.com/blog/
**Paul valéry. Bilan de l’intelligence
*** Sophocle. Oedipe roi. Acte 1