Dans les tiroirs, les schémas de pensée du Paléolithique supérieur. N°1138
Écrit par admin sur 6 mars 2024
Pitié, qu’on arrête de prendre nos grands anciens et vénérables vertébrés pour ce qu’ils n’étaient pas.
Il y a parfois de sacrées découvertes. Par exemple, dans des tiroirs d’archéologues. Ceux, loin d’être poussiéreux, de l’équipe internationale de chercheurs de « cinq outils en pierre encore tachés de substance adhésive ». Trouvés au Moustier, un site préhistorique en Dordogne – lire ici.
De facto, c’est presque exactement de ça dont parlent David Graeber et David Wengrow, dans « Au commencement était… une nouvelle histoire de l’humanité « , j’y reviens haletant – lire la Chronique d’ici-même d’avant celle-ci- et nous y reviendrons grandis. Dont la lecture est intellectuellement stimulante. L’un, anthropologue; l’autre, archéologue, ils se sont mis sur les traces de nos grands aïeux en fouillant les fonds de tiroirs, tant d’archéologie que d’anthropologie de terrain.
En complète dissonance avec la thèse « évolutionniste » au déterminisme cinglant de type Yuval Harari – lire ici-, qui pousse l’affirmation jusqu’à prétendre que nous serions sur le point de nous dissoudre dans l’I.A, nous les sapiens – terme signifiant « sage, ayant du jugement ». Encore faut-il que nous n’ayons que ça comme référence, noyés que nous sommes dans nos aveuglements, nos processus, nos dispositifs, nos échéances ou nos flux digitaux.
Si bien qu’on ne va pas se plaindre de percevoir chez ces deux chercheurs au long cours (738 pages), un profond plaisir à nous aider à découvrir des schémas de pensée bien réels, efficaces, partagés, inventifs et joyeux, reposant sur les rythmes saisonniers en cette Préhistoire qui ne nous a jamais parlé. La preuve est que les sapiens, trop commodément jugés grossiers et brutaux, ont eu la capacité à imaginer que quelque chose d’autre puisse exister.
Extraits: « Nous n’avons évidemment aucune idée des langues que parlaient les peuples du Paléolithique supérieur, pas plus que de leurs mythes, de leurs rites initiatiques ou de leur conception de l’âme. Nous savons en revanche que, des Alpes suisses aux confins de la Mongolie, les outils, les instruments de musique, les statuettes féminines, les objets décoratifs et même les traditions funéraires présentaient de remarquables similarités (1). Par ailleurs, de nombreux indices témoignent qu’hommes et femmes pouvaient voyager sur de très longues distances à divers moments de leur vie.
Contre toute attente, c’est une dimension qui se retrouve dans des populations de cueilleurs actuels. Des recherches menées auprès des Hadzas d’Afrique de l’Est ou des Martus d’Australie montrent ainsi que ces sociétés sont étonnamment cosmopolites malgré leur faiblesse numérique. Les vastes regroupements sédentaires qu’elles forment à certaines périodes sont loin de représenter des blocs homogènes dans lesquels on ne trouverait que de très proches parents. En fait, les liens purement biologiques ne concernent en moyenne que 10% des individus. La majorité des 90% restants sont issus d’autres populations, souvent très lointaines et ne partageant pas toujours la même langue natale. Cela se vérifie même dans des groupes modernes confinés à des territoires restreints et entourés d’agriculteurs et d’éleveurs. »
(1) Pour les outils, on peut au moins parler d’une ressemblance globale dans les formes et les fonctions. Bien entendu, les spécialistes de l’outillage préhistoriques en pierre utilisent des techniques d’analyse extrêmement sophistiquées qui leur permettent de différencier toutes sortes d’ »industries » spécifiques. Mais même les scientifiques qui aiment à créer des sous-groupes à l’infini ne sauraient nier les importantes similitudes entre les différentes traditions du Paléolithique supérieur (les cultures aurignacienne, gravettienne, solutréenne, magdalénienne, hamburgienne, etc.) à travers des étendues géographiques impressionnantes. »
D.D
Ce qui a été dit et écrit ici-même autour du biface. Ainsi qu’autour de David Graeber et des anthropologues.