« A la faveur de notre légèreté et d’un oubli coupable ». N°1136
Écrit par admin sur 21 février 2024
Il est un engrenage qu’il faut rompre coûte que coûte, une clairvoyance maussade qu’il faut se décider à appliquer avant qu’elle devienne la conséquence sournoise d’alliances impures et de compromis. Si en 1944, on avait, en général, strictement châtié, on ne rougirait pas de faire quotidiennement la rencontre, aujourd’hui, sans le moindre malaise de leur part, d’hommes déshonorés, de gredins ironiques, tandis qu’un personnel falot garnit les prisons. On objecte que la nature du délit a changé, une frontière qui n’est que politique laissant toujours passer le mal. Mais on ne ranime point les morts dont le corps supplicié fut réduit à de la boue. Le fusillé, par l’occupant et ses aides, ne se réveillera pas dans le département limitrophe à celui qui vit sa tête partir en morceaux ! La vérité est que la compromission avec la duplicité s’est considérablement renforcée parmi la classe des gouverneurs. Ces arapèdes engrangent. L’énigme de demain commande-t-elle tant de précautions ? Nous ne le croyons pas. Mais, attention que les pardonnés, ceux qui avaient choisi le parti du crime, ne redeviennent nos tourmenteurs, à la faveur de notre légèreté et d’un oubli coupable. Ils trouveraient le moyen, avec le ponçage du temps, de glisser l’hitlérisme dans une tradition, de lui fournir une légitimité, une amabilité même ! »
René Char, poète et Résistant sous le nom de Capitaine Alexandre- extrait de « Recherche de la base et du sommet », daté de 1948 -pg16.
Char signale avec inquiétude les ennemis invisibles qui menacent et qui sont autrement pernicieux que des soldats, puisqu’ils déguisent leurs intentions et savent comment prospérer « à la faveur de notre légèreté et d’un oubli coupable ». Comment ne pas y voir de la perspicacité dans ces mots ?
Observons « le ponçage du temps « , quatre-vingts ans plus tard : un candidat maurassien, Eric Zemmour, en campagne électorale pour l’Elysée, condamnait les actes de résistance visant les collabos et les nazis; la réhabilitation du pétainisme par les chaînes, journaux et maisons d’édition Bolloré va bon train; entre 2017 et 2022, Marine Le Pen a gagné plus de 2,5 millions de voix, et s’incruste avec duplicité à la cérémonie d’hommage national à un Résistant communiste, antifasciste et apatride; aucune enquête policière n’aboutit à l’encontre de multiples exactions et appels au meurtre venant de groupuscules néo-nazis.
Observons « à la faveur de notre légèreté et d’un oubli coupable »: très peu de jeunes chercheurs se lancent dans une thèse sur la Résistance – lire ici.
Observons encore « L’énigme de demain » avec peu « de précautions » : une loi immigration présidentielle votée avec l’extrême droite et revendiquée comme une « victoire idéologique » par Marine Le Pen, dont le parti de celle-ci n’est qu’un relookage du FN, organisation fondée par son père et un ancien des Waffen-SS au sein de la Division Charlemagne.
Réjouissons-nous néanmoins – quoique bien tard- du retentissement à l’entrée au Panthéon, ce mercredi 21 février, de cette résistance armée incarnée par Missak et Mélinée Manouchian, qui fut menée principalement par des étrangers ou immigrés, souvent juifs, internationalistes et antifascistes. Les dix hommes avaient tous été condamnés à mort par le régime d’occupation nazi, en compagnie de 12 autres et d’une femme. Le 21 février, tous les hommes seront fusillés au Mont-Valérien. La femme, Olga Bancic, sera décapitée en Allemagne le 10 mai suivant. Ils faisaient tous partie du réseau de résistance communiste « Francs-tireurs et partisans – main-d’œuvre immigrée » (FTP-MOI).
Manouchian incarne l’universalisme républicain et la convergence identitaire, soit une manière d’être habité par des identités multiples tout en s’inscrivant dans la nation des Lumières et de la Révolution ».
Daniel Peschanski, historien.
Quand France 2 – à revoir là– décide de puiser dans ses propres réserves d’images d’archives et de documents dormant dans les caisses de musées, mais en les dépoussiérant d’un nouveau regard pour faire sortir de l’anonymat des acteurs majeurs de l’histoire contemporaine, et montrer ainsi leurs combats et -un temps- les aider à acquérir une fragile reconnaissance, c’est corriger « un oubli coupable ».
Les FTP MOI de l’organisation communiste, cosmopolite et patriotique de la Résistance, auront donc attendu quatre-vingts ans avant que sorte l’action décisive de tous ses « combattants de l’ombre » – l’organisation de loin la plus importante numériquement – de l’ombre dans laquelle ils ont été par « un oubli coupable » politiquement maintenus. Le téléspectateur gavé d’infos comprendra-t-il à partir de ce jour important d’entrée au Panthéon de Missak et Mélinée, ce que signifie le mot Résistance ? Comme celui de Police collaborationniste ?
» On comprend que cette histoire faite de centaines de milliers de soldats sans uniforme ait produit chez bien des militaires de métier un refoulement pernicieux. » Charles Tillon, créateur des FTP dont il dirigea le Comité militaire national – extrait de Les F.T.P. soldats sans uniforme.
Et c’est ainsi que la Résistance qui dans le dictionnaire n’est que « un phénomène physique s’opposant à une action, ou un mouvement » devient un moment de l’univers polyphonique contre tous les savoirs arrêtés de l’homme. »
Armand Gatti, journaliste, poète, dramaturge, cinéaste et ancien Résistant – extrait de « Les cinq noms de Résistance de Georges Guingouin. »
D.D
Ce qui a été dit et écrit ici-même autour de maquis.
FRANÇOISE Sur 22 février 2024 à 10 h 19 min
Sentiment contradictoire ça s’appelle… et je pourrais signer « la grincheuse de service »!…
Tu as raison sur tout (comme d’hab !?)
MAIS…
L’Affiche rouge, la voix de Léo Ferré (faut-il rappeler que la chanson fut interdite d’antenne jusqu-à ce que François Mitterand, le 29 juillet 1982, mette fin au monopole que l’état exerçait jusqu’alors sur la diffusion radiophonique …), Les combattants de l’ombre…l’émotion très vive que toute cette mémoire évoquée suscite (encore) en nous, vive, intacte…
MAIS…
Quand j’entendais hier ce leitmotiv (avec en moi, encore la voix de Léo Ferré) : « Est-ce ainsi que les hommes vivent ? » je voyais les tentes des immigrés sous les rails du métro aérien de Paris, la centaine d’enfants dans le Calaisis, à vivre dans des campements insalubres cet hiver, tous ces noyés…et la loi immigration promulguée le 26 janvier 2024…alors impossible d’adhérer à toute cette orchestration luxueuse et hypocrite…
MAIS…moi, c’que j’en dis…