A notre robinet, une philosophie de la maintenance. N°1076

Écrit par admin sur 21 décembre 2022

Voici ce jour une Chronique consacrée à ces installations publiques qui nous approvisionnent, par exemple en eau potable. D’ordinaire, on n’y prête aucune attention. On a tort. Il y a quelques heures de là mon robinet d’eau courante s’est arrêté. Coupure d’eau. Appel au siège de la grande agence de l’eau pour prévenir le service. Celui-ci s’engage à relayer mon alerte auprès de ses services locaux. Coup de fil une heure après d’un agent qui m’informe que la canalisation à laquelle je suis branché vient de claquer. Des travaux devront avoir lieu, ce qui demandera un peu de patience.

Le lendemain matin, repérant les véhicules du service je me rends sur place, et interpelle un ouvrier. Qui gentiment m’explique que la fuite d’eau se situe sous la dalle d’un abri de jardin d’une des maisons voisines. Et qu’à cette heure, ils ne savaient pas s’y prendre pour engager les travaux de réparation. Mais ne pouvant estimer la durée nécessaire du chantier, le service s’engageait à m’approvisionner en packs d’eau. Huit au total. Ce qui fut fait dans les heures qui ont suivi.

Il était là l’endroit de la coupure. Visuellement, c’était la répétition de ce qui s’était passé autrefois sur cette même vieille canalisation près de chez moi. L’éruption d’un geyser de flotte sortant de l’insondable sous-sol. Une sensation instinctive et récurrente d’urgence, du manque de temps, surgit alors en soi. Car sous les feuilles tombées, les gravillons des allées, la pelouse détrempée, l’abri de jardin posé là, existe sous ce décor dérisoire du chacun chez-soi, ce constituant du vivant. Il me revient à l’esprit qu’autrefois en tant qu’élu communal, nous avions ce souci de l’entretien du réseau, cette ossature de notre vie quotidienne tant oubliée des préoccupations de tant de tireurs d’eau.

Le recours ponctuel à des packs d’eau plutôt qu’à un robinet, bon c’est déjà ça, mais franchement ce n’est pas très pratique pour toutes sortes d’usage. Vous m’avez compris. Il faudra attendre une bonne journée pour que l’eau revienne au robinet. En gagnant plus de pression par dessus le marché. Il est probable que la fuite fut très ancienne et que l’eau s’échappait du tuyau incognito.

Certes modeste, cette panne momentanée de réseau m’a rappelé qu’il y a quelques décennies de cela, l’eau courante n’était pas installée partout. Loin de là. Et qu’à la campagne, il était encore assez fréquent dans les années 70 d’aller puiser son eau au puits ou à la fontaine du village. Ceci jusqu’à la fin des programmes publics d’adduction d’eau potable aux alentours de la fin des années 70 pour les zones rurales les plus reculées. Je peux moi-même en témoigner ayant eu à travailler à mettre en oeuvre quelques tranches de ces programmes conduits localement par les Syndicats intercommunaux de l’eau potable.

Ces réseaux d’eau sont vieillissants, la surconsommation de masse ne cesse de s’accroître, et dans le même temps il est constaté que 20% de l’eau potable est perdue à cause des fuites sur le réseau d’eau. En ces heures-ci, c’est le réseau fibre optique internet qui occupe l’attention officielle. Mais il n’est guère possible que ce dernier nous apporte les bienfaits vitaux du précieux réseau souterrain oublié. D’autant que si d’apparence réparer ce fichu chantier de tuyau percé, c’est presque rien, c’est néanmoins participé à sa propre échelle à un monde d’énergies, de forces et de flux, le monde de la terre et du ciel.

Je lis qu’une enquête sociologique « Le soin des choses » récemment sortie en librairie, attire l’attention sur les politiques de maintenance. Par cet ouvrage Denis et Pontville, les auteurs, nous incitent à regarder vraiment ce que nous ne percevons pas, ou plus. Ils nous invitent à « refuser ce luxe de l’inattention que nous ne pouvons plus nous permettre« . Et à rebours du capitalisme, ils promeuvent une philosophie de la maintenance, qui redonne place au temps long, à la fragilité des choses, au soin de soi et des autres, vivants humains et non-humains.