Alain Supiot, « faire de notre planète un lieu habitable ». N°1047
Écrit par admin sur 1 juin 2022
Une société qui donne pour idéal à sa jeunesse de devenir millionnaire se condamne à la répétition des crises »
Derrière la propagande vantant la liberté supposée d’ »autoentrepreneurs « , c’est en effet la structure juridique du servage qui ressurgit avec le travail sous plateforme. »
L’absurdité de ces réformes (Ndlr : El Khomri et ordonnances Travail) apparaît à l’heure où la nécessité d’une telle hausse du pouvoir d’achat fait consensus, de même que la suppression des CHSCT s’est révélée une sottise à l’heure du Covid »
Ériger ainsi en norme fondamentale la poursuite par chacun de ses seuls intérêts particuliers disqualifie l’intérêt public et la frugalité, et engendre inévitablement la violence. »
On ne répondra pas aux défis sociaux et écologiques qui sont les nôtres sans permettre aux travailleurs de peser sur ce qu’ils font et la façon dont ils le font. »
Le besoin de solidarité ne disparaît pas mais il se transporte sur d’autres bases – non démocratiques – telles que l’appartenance ethnique ou religieuse, la couleur de la peau ou l’orientation sexuelle. »
Alain Supiot, juriste, professeur émérite au Collège de France – entretien à l’Humanité, le 27 mai 2022.
A l’occasion de la sortie du livre d’Alain Supiot « la Justice au travail », voici ci-dessus quelques lignes tirées de son interview récent à L’Humanité. A lire ici et à diffuser largement.
Très à propos au moment où s’inaugure un nouveau quinquennat par lequel s’affiche l’ambition de réformer les retraites, et du même coup de refonder notre modèle social, la contribution éclairée de ce juriste de renom spécialiste du droit social, apparaît essentielle. Elle rappelle ce que nous enseigne les lois très anciennes qui posèrent les bases économiques de ce qui allait devenir la démocratie.
« C’est avec Solon (VII -VIè avant J-C) que l’esclavage pour dettes est aboli et que les plus pauvres accèdent à la citoyenneté grâce à leur travail. De tout temps, la justice sociale est au fondement de la cité, en lui assurant de façon pragmatique stabilité et recours contre la violence. Elle n’est pas un supplément d’âme mais une fiction régulatrice, mécanisme de conversion des rapports de forces en rapports de droits. »
Ainsi, dans « la Justice au travail » – 50 pages lumineuses-, le professeur émérite au Collège de France, Alain Supiot, grand spécialiste du Droit du Travail et de la philosophie du Droit, nous met en garde contre la dangereuse direction que prend notre pays sur les mutations du monde du travail. En nous rappelant les fondamentaux… le respect de la dignité humaine.
De cet ouvrage en voici la « note de lecture » confectionnée par la Librairie A la Page Vichy : « Alain Supiot nous montre que la question de la justice au travail a été un moteur de la transformation des institutions et » qu’une paix durable ne peut être établie que sur la base de la justice sociale« . Or l’évolution de nos sociétés néolibérales où le gouvernement des personnes a été remplacé par l’administration des choses, où tout est régi aujourd’hui par des « batteries d’objectifs et (des)indicateurs de performance », a profondément modifié le monde du travail. Aujourd’hui, l’idée est d’adapter l’être humain pour qu’il se comporte de manière la plus efficace possible pour la bonne marche des affaires, via l’économie comportementale, et « cette programmation conduit à des formes inédites de déshumanisation « . Cette déshumanisation, dans la société et dans l’entreprise, cette perte de sens de la sphère sociale, va de pair avec » l’accroissement des revendications sociétales de reconnaissance » identitaire. « Défaire les solidarités édifiées sur la base démocratique de l’égale dignité des êtres humains ne peut conduire qu’au retour de solidarités fondées sur des sentiments d’appartenance communautaire ». Aujourd’hui, « la justice au travail ne concerne plus seulement sa rémunération et ses conditions d’exécution, mais aussi son sens et son contenu« . Redonner toute sa place au travailleur, lui permettre de participer à la marche de l’entreprise en questionnant son sens, son impact écologique, ses rythmes, et en permettant que « l’autorité s’exerce en légitimant l’expression de l’habilité et des connaissances des travailleurs au lieu de prétendre dicter ou programmer leur conduite », tel devrait être le nouvel enjeu d’une juste division du travail au XXIe siècle. Alain Supiot propose de s’engager dans la mondialisation, par opposition à la globalisation ( qui pousse à l’uniformisation des peuples et des cultures et aux repliements identitaires ), en référence au latin mundus signifiant terre habitée, c’est à dire à « faire de notre planète un lieu habitable », en inventant des solidarités nouvelles. »
D.D
Ce qui a été dit et écrit ici-même autour d ‘Alain Supiot. Ainsi qu’autour de l’ affaire McKinsey. Et de Françoise Swiatly.
FRANÇOISE Sur 2 juin 2022 à 9 h 46 min
Et Alain Supiot de citer Solon né à Athènes vers 640 av. J.-C. homme d’État, législateur et… poète …dans son Élégie du bon gouvernement :
« Le peuple a des chefs pleins d’injustice, qui sont prêts
Dans leur immense orgueil à subir de grands maux,
Car ils ne savent pas contenir leur morgue, […]
Leur richesse s’appuie sur des actes injustes.
Sans respecter en quoi que ce soit les biens sacrés et les biens publics,
Chacun de leur côté, ils volent, ils pillent
Et ne respectent pas les normes de Justice,
Cette incurable plaie […] réveille l’émeute et la guerre qui sommeillait . »
2662 ans, donc… pour nous faire sentir que la justice, qui procède de « la capacité propre à l’espèce humaine de se représenter, au-delà du monde tel qu’il est, un monde tel qu’il devrait être et de travailler à sa réalisation », qui procède de ce que Castoriadis a nommé « l’institution imaginaire de la société », la justice donc est, peut-être (?) « toujours au travail », mais dans une « progression » si désespérante…