Jacques Abeille s’est éteint, que sa parole circule… N°1030
Écrit par admin sur 2 février 2022
Mon pouvoir était à la portée de tous et résidait tout entier dans la faculté de rêver »
Jacques Abeille, poète – La Barbarie.
Neuf mois après la disparition du grand poète Bernard Noël, Jacques Abeille vient de s’éteindre. « Une grande voix s’éteint, une voix essentielle. D’une grande modestie douce et éclairante… » écrivions-nous à propos du premier. Pareille formulation irait tout autant au second au destin atypique d’auteur, d’immense auteur, dont la carrière s’est accompagnée d’un trop grand silence.
Jusqu’à l’invitation en 2015 co-produite par Maison de la Poésie de Rennes /Les Champs Libres, ces deux amis romanciers, quoiqu’entretenant une correspondance, ne s’étaient jamais rencontrés (« Bernard Noël fit publier chez Textes/Flammarion en 1982, ses Jardins statuaires, récit qu’il trouvait aussi important que Le Rivage des Syrtes de Julien Gracq. Ces Jardins sont le premier opus du « Cycle des Contrées » de Jacques Abeille »- voir ici).
A cette occasion, en co-fabrication avec la Maison de la Poésie, une « rencontre poétique » fut mise sur pied entre ces deux très grands noms de la littérature. Rencontre au cours de laquelle Matthieu a eu l’honneur de les interroger de bon matin, en un 29 janvier, dans le salon bruyant d’un hall d’hôtel de la place de la gare à Rennes – lieu et cadre d’enregistrement vidéo. Pendant laquelle s’est ressentie chez ces hommes libres une révolte intacte dans leur façon de parler et de poser les mots.
Soulignons pour tout usage que cette vidéo est ancienne, car qu’auraient-ils dit d’aujourd’hui ? On est douleureusement – eu égard à leurs disparitions- convaincu que cet entretien, absolument remarquable qui prend chaque jour, chaque heure, plus de force et d’ampleur, est une trace très précieuse – telle qu’aurait peut-être eu à la penser André Leroi-Gourhan souvent cité par nos deux invités.
Trace précieuse qui, sept ans après presque jour pour jour, est d’une impressionnante actualité. Celle d’une vérité par tous les mots lentement posés et tous points hautement réfléchis abordés, exceptionnelle. Cet entretien, permettez-nous de le penser sincèrement, est une oeuvre qui perdurera car les mots ont une valeur. Et quoiqu’il en soit, elle marquera pour longtemps ici-même l’esprit de Radio Univers.
Trace précieuse s’il en est, car qu’apprend-on en ces heures-ci ? Si l’oeuvre de Jacques Abeille consista « non pas à créer un monde imaginaire, mais à pénétrer le monde de l’imaginaire par les vertus de l’imagination » (La Quinzaine littéraire n°1047), l’on apprend que la maison d’édition Hachette, qui vient d’être croquée par Bolloré, rachète Bragelonne, le gros éditeur indépendant français en littératures de l’imaginaire. D’apparence banale, cette pénétration totalement dérégulée de l’uniformisation du monde par la haine, propre à ce type d’entreprise à logique concentrationnaire pour reprendre les mots de Bernard Noël, pousse donc son bouchon sans limite jusqu’aux littératures de l’imaginaire !
– Crois-tu que certaines idées peuvent tuer ?
– C’est certainement ce qui tue le mieux.Jacques Abeille, poète – Le Veilleur du Jour .
Ce jour, nous tenions à rendre hommage à Jacques Abeille ainsi qu’à la trace précieuse qu’il laissera par cet entretien. Et comment mieux leur rendre hommage qu’en écoutant sa voix.
D.D .
La page Jacques Abeille sur Lieux-dits.eu, à voir ici.
Nos entretiens avec les poètes, à retrouver ici.