Vincenzo Vecchi a participé aux mouvements contre le G8 à Gênes, il y a plus de vingt ans. Il n’est accusé d’aucune atteinte aux personnes, d’aucune violence sur autrui. Depuis trois ans, l’Italie le réclame au nom d’une incrimination étrangère à nos lois, on l’accuse de « dévastations et pillages ». Cette incrimination trouve son origine dans le droit mussolinien, elle est un reliquat de cette sombre période de l’histoire. Cette incrimination concerne les manifestations, les rassemblements. La personne prise sur les lieux, ou bien seulement photographiée, est censée avoir concouru moralement aux dégradations qui s’y produisent. Cela permet de criminaliser toute la manifestation. Et c’est à ce titre, sans que soit nécessaire d’autre preuve, qu’on peut être très lourdement condamné. Ainsi, à Gênes, une photographie de la police montre Vincenzo Vecchi en train de boire une canette de soda devant une boutique pillée, on le voit aussi devant une agence bancaire saccagée, ou dérobant des madriers sur un chantier, et cela suffit, aux yeux de la justice italienne, à lui infliger dix ans de prison.
Je le répète, les faits se sont produits il y a plus de vingt ans, et Vincenzo Vecchi n’est accusé d’aucune atteinte aux personnes. On comprend donc mal l’acharnement de la justice italienne contre lui. Depuis trois ans que dure cette procédure, lente, difficile, Vincenzo Vecchi travaille en France, où il vit depuis de nombreuses années. Un comité de soutien s’est formé spontanément, manifestant une sympathie indéfectible à l’homme comme aux principes. En trois ans, les plus hautes instances de la justice française, deux cours d’appel, ont statué en sa faveur. La mauvaise foi de la justice italienne a même été établie, le second mandat d’arrêt s’est avéré caduc, mais la justice italienne le savait parfaitement, elle l’a d’ailleurs reconnu, c’était afin de charger Vincenzo Vecchi, afin d’essayer de le faire passer pour un récidiviste. La justice italienne a donc instrumentalisé le mandat d’arrêt européen, méprisant les principes les plus élémentaires. Mais le ministère public français s’acharne lui aussi, il se pourvoit contre chaque décision favorable. Or, la justice n’est pas une affaire de carrière, de fierté, de politique répressive. Elle ne saurait être l’otage des opinions des procureurs. Deux décisions ont été rendues en faveur de Vincenzo Vecchi, et par des cours d’appel, autrement dit par les plus hautes juridictions du fond. Même la Cour de cassation a reconnu que l’incrimination pour « dévastations et pillages » ne pouvait exister en droit français. Alors ?
Avant de rendre son verdict, la Cour de cassation a néanmoins préféré poser quelques questions à la Cour de justice européenne, des questions de droit. Mais elles dissimulent en réalité une question politique, une question de principe. Veut-on que le mandat d’arrêt européen devienne une procédure automatique, avec un contrôle restreint, très encadré, au risque de voir pénétrer dans notre droit des vestiges de droits autoritaires, voire de nouvelles mesures attentatoires aux libertés ? L’espace européen sera-t-il un espace de libre-échange des individus ? Ou bien veut-on que le juge puisse continuer à contrôler, afin de ne pas livrer les personnes condamnées au nom de droits iniques ? Car il n’y a pas que des amis de la liberté en Europe, et les gens ne sont pas des marchandises.
Le 20 janvier, il y aura une audience à la Cour de justice européenne. Nous espérons que le droit ne servira pas de prétexte technique. En effet, le droit n’est pas une discipline autonome, neutre, impartiale. Le droit, ce sont des règles et des interprétations. Ici, il faut choisir entre une efficacité aveugle du mandat européen, une efficacité mécanique, et le respect des libertés. En dernière analyse, c’est bien de cela qu’il est question, appliquer ou non une loi liberticide dont l’origine mussolinienne a le mérite d’être claire. Il y a une âme derrière les règles. Le comité de soutien espère que les juges européens feront prévaloir la liberté. Rappelons-le une dernière fois, si l’on ramène cette affaire à l’essentiel, il y a un charpentier italien, condamné à dix ans de prison pour des faits qui relèveraient sans doute d’un simple sursis, des faits qui datent de plus de vingt ans, des faits qui ne concernent que des choses, pas des hommes, il y a deux décisions favorables des plus hautes juridictions françaises ; et, en face, il n’y a que les dissimulations de la justice italienne, sa déloyauté tout au long de la procédure, et une loi, une loi mussolinienne, qui instaure une responsabilité collective, contraire à ce qu’on appelait jadis « l’esprit des lois ». Alors ? Le droit n’est-il pas avant tout une affaire de conscience ? Nous le saurons bientôt. »
D.D
Mise à jour: lire le compte rendu de l’audience du 20 janvier, ici.
Ce qui a été dit et écrit ici-même autour de l’affaire Vincenzo Vecchi.