Au Festival Photo de La Gacilly, par contraste… N°1003
Écrit par admin sur 28 juillet 2021
Puisque cette année, la culture aura été jugée « non essentielle », pareil qualificatif s’abat aussi évidemment sur la Grande thématique annuelle du Festival Photo de La Gacilly (56), de sensibilisation sur les effets du dérèglement climatique et la disparition de la biodiversité. Qui réunit à l’ordinaire une foule relative de visiteurs attentifs.
Sauf que le jour de ma visite, samedi, c’était jour de pluie quasi continue. Et pas des moindres. Quoiqu’il en fût – sous parapluie, sans que l’humeur n’en pâtisse- la visite gratuite et en plein air, une nouvelle fois en valait le déplacement. Le lieu d’expos photo au bord de l’Aff remplie à ras bord, n’avait rien d’étouffant, à l’abri au moins de la 4ème vague covidienne.
La foule des visiteurs y vient comme elle se rend à la plage. Renonçant alors à sortir quand il pleut. Ce qu’elle vient y chercher, le sait-elle elle-même ?
La pluie laissait ainsi place à l’espace étonnamment libre d’un questionnement. Qui a pris part chez moi à ces récits de photoreportage quelqu’en soit la tragédie locale qu’ils témoignent. Car la pratique des photoreporters porte l’attention sur des événements assez spectaculaires, sensationnels ou dramatiques pour trouver de l’écho dans la presse de la société du spectacle.
D’où en découle, compte tenu de la thématique énoncée en manifeste de ce festival – « montrer en image, par le regard des artistes, la beauté précaire de notre Terre »-, la présentation de scènes exotiques souvent tragiques qui devraient susciter notre indignation, et notre mobilisation.
Des images objets de communication mais aussi parce qu’elles échappent à la communication. Comme nous l’enseigne la philosophe de l’image, Marie-José Mondzain: « L’image n’est pas là pour ce qu’elle montre mais pour ce qu’elle ouvre comme champ infini au regard. »
Ainsi écrit-elle dans Confiscation des mots, des images et du temps: « L’art des images est un art politique, non pas engagé sur le registre du militantisme et du parti pris, mais s’engageant à offrir à celles et à ceux à qui il s’adresse un site d’indétermination infinie propre à leur proposer la scène de leur action. »
Ces clichés «documentaires» se situent ailleurs, le réel prélevé là où ça va mal. Donc, du pathos pour les habitudes de voyeurs. Ou de l’imagination politique pour tout corps sensibles avec les conditions d’un partage des regards.
Parce qu’ici au bord de l’Aff, par exemple, entendons-nous bien, tout va bien. Possible que ça soit ça justement ce dont les festivaliers viennent chercher, ce contraste.
Pour une part, dans ce que l’image « ouvre comme champ infini au regard », l’essentiel c’est d’avoir trouvé à se rassurer. A calmer les angoisses du bon chrétien – tout ça c’est ailleurs, chez moi, ça va, merci mon Dieu!
Pour une autre part, essentiel tout autant, des visiteurs trouveront les images pour accroître leur puissance d’agir.
Cette 18ème édition met cap au Nord et naturellement sur la problématique de la fonte des glaces. Le tout présenté par des belles images grand format, donc des objets inanimés. Des images de divertissement touristique montrant un glacier en train de fondre. Accompagné de l’annotation : « Quand le manteau de glace du Groenland sera fondu, la hauteur des mers s’élèvera de 7 mètres ». Situation par rapport à laquelle est abandonnée toute visée de maîtrise.
D’où la question : rappelé en vain à chaque édition sous forme de cérémonie didactique, ce prêche pour convaincus – « montrer en image (…) la beauté précaire de notre Terre »-, leitmotiv de la démarche artistique du festival, ne va-t-il pas à l’avenir peiner à se renouveler ?
Car, ce que nous donnent pour l’instant à voir les meilleures images de scènes pour photoreporters, c’est l’actualité permanente et l’avenir prédessiné. Et notre impuissance face à ces conditions extrêmes qui sont amenées à devenir monnaie courante comme l’annonce le GIEC, le Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat. Parvenues même cet été, à dérégler les prédictions un peu bêta tout de même des modèles scientifiques.
Si bien que voici une semaine, les inondations dues au réchauffement ont causé 160 morts en Allemagne et en Belgique, jamais ça n’a été si proche. Même sous soleil éclatant et ciel clair, le contraste des situations entre l’assez proche et l’ailleurs s’atténue beaucoup plus rapidement qu’annoncé – lire ici.
En fait, il n’y a pas d’ailleurs !
Alors, oui, évidemment, très bientôt, dans ce que l’image photographique « ouvre comme champ infini au regard », pour l’essentiel – jugé « non essentiel »- si c’est ce qu’il vient y chercher, le visiteur festivalier du bord de l’Aff , au bord du monde, n’y trouvera rien à se rassurer !
D.D
Ce qui a été dit et écrit ici-même autour du Festival Photo de La Gacilly. Ainsi que sur le Chaos climatique.
Françoise Sur 29 juillet 2021 à 9 h 19 min
Oui, oui, comme d’hab, je suis d’accord avec tout sauf que…Quand tu dis :
« Si bien que voici une semaine, les inondations dues au réchauffement ont causé 160 morts en Allemagne et en Belgique… »…je râle un peu…Depuis quelques temps , il a bon dos le réchauffement climatique…C’est comme la météo qui est tenue pour « responsable » de l’air irrespirable, quand le brouillard « pèse comme un couvercle » sur les grandes villes, nous obligeant à respirer…notre propre merde !!!!
Ces 160 morts dont tu parles, victimes de déferlements violents, oui, sont aussi, et je dirais même en premier lieu, victimes de l’incurie des promoteurs qui bétonnent à tout va et des élus locaux qui leur distribuent les permis de construire… tu sais bien que, ne serait-ce qu’en France, 30% des constructions sont situées en zones à risques !
Alors pour contrebalancer (un peu) ta chronique j’avais envie de te citer Jean-Paul Dollé dans « L’inhabitable capital » :
« Ce que dévoile d’une lumière crue la crise partie des USA et qui se répand dans le monde entier comme un virus, c’est l’essence même du capitalisme, à savoir la destruction, dissolution, disparition du monde, de l’espace et des choses, la dévastation de la terre, remplacée par le marché global des produits, dont la valeur d’usage est dissoute dans la valeur d’échange et devient ainsi une marchandise. »