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Hartmut Rosa, « Le miracle et le monstre. »

Écrit par sur 10 avril 2020

Oui, nous pouvons arrêter, le monde. Et c’est même très facile. Voilà le miracle que semble accomplir le Coronavirus. Mais c’est nous, et non le virus, qui l’avons fait ! Utilisant pour cela la même force qui jusqu’alors nous conduisait à produire toujours plus et toujours plus vite. On sait comment on freine. Que fait-on après ?

(…) Nous pouvons et devons utiliser cette force pour affronter la crise climatique – ainsi que toutes les autres formes d’agression. Le moment est venu de changer de paradigme. Les changements de paradigme ne sont possibles que lorsqu’un ancien paradigme entre en situation patente de crise. Car en « temps normal », les institutions et les processus sociaux ne font que suivre les règles et les routines établies, parfois si profondément ancrées que le changement semble impossible. Les sociologues parlent alors de « dépendance au chemin ». Le prix à payer pour changer de voie et inventer quelque chose de nouveau est tout simplement trop élevé, la divergence trop risquée tant que les systèmes sociaux et économiques fonctionnent plus ou moins correctement au quotidien.

Mais de temps à autre, au cours de l’histoire, en temps de crise et/ou d’innovation, il y a des moments historiques d’indécision ou de « bifurcation » dans lesquels on ne sait pas comment une communauté ou une société socioculturelle va continuer. Dans de telles situations, les modèles sociologiques ou économiques ne peuvent pas prédire l’avenir, car il est fondamentalement ouvert. Comme nous le rappelle Hannah Arendt, ce sont les moments où quelque chose de nouveau peut naître, où la capacité humaine d’innovation – qu’elle appelle la « natalité » – peut ouvrir une nouvelle voie. Je suis enclin à interpréter ces moments comme des moments de résonance collective. Les acteurs sociaux se sentent existentiellement touchés et émus par la situation, ils se rendent compte qu’ils sont capables de s’arrêter, d’écouter et de répondre à la situation d’une manière qui les transforme, eux et le monde social qui les entoure. Et le résultat de cette transformation est constitutivement indisponible, unverfügbar ; il ne peut être prédit. Mais il peut provoquer un changement. »

Hartmut Rosa, sociologue et philosophe – Extraits de Le miracle et le monstre – un regard sociologique sur le Coronavirus, publié dans AOC, le 10 avril.

Ce qui a été dit et écrit ici-même autour dHartmut Rosa. Ainsi qu’autour du monde accéléré.


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