La coquille Saint-Jacques, un animal « à remonter le temps. » N°935
Écrit par admin sur 8 avril 2020
Le confinement derrière porte et fenêtre, écrivions-nous ici, sans possibilité d’outrepasser sa situation humanistique, ça donne quoi ?
Aventurons-nous alors hors de nous-mêmes, en étendant nos vues à une autre espèce devenue l’emblème d’un écosystème menacé. Voici donc un antidote scientifico-empirique et revigorant à la résignation et au renoncement. Il nous dit que l’avenir sera ce que nous en ferons puisqu’il dépendra du « regard (qui) est bien évidemment toujours en mutation ».
Le caisson de protection de la coquille Saint-Jacques est le palimpseste des météos passées, une machine à remonter le temps. »
Laurent Chauvaud, « La coquille Saint-Jacques sentinelle de l’océan. »
Aventurons-nous en rade de Brest. Grâce à l’Institut universitaire européen de la mer (IUEM), situé au Technopôle Brest-Iroise de Plouzané, près de Brest (Finistère). Par le biais d’un bouquin tonique et joyeux sur un “mollusque bivalve”, « La coquille Saint-Jacques sentinelle de l’océan.«
Son auteur, Laurent Chauvaud, est directeur de recherches au CNRS, plongeur et écologiste du fond des mers et océans. Complètement passionné, il raconte ses 25 ans de recherche sur les coquilles Saint-Jacques. De la rade de Brest évidemment, et même d’un peu partout au fond des mers du monde.
Des coquilles Saint-Jacques qui, dit-il, sont de formidables climatologues et historiennes. Mais aussi, la preuve vivante, une de plus, que la Terre est mal barrée.
Plein d’humour et d’histoires personnelles, le livre bien que pointu est vraiment agréable à lire, pas triste quoique scientifique. Chauvaud nous y présente la coquille Saint-Jacques comme un super-enregistreur des conditions environnementales.
Ainsi renseigne-t-elle sur la température de l’eau (à 0,4 °C près), les traces de pollutions – comme une floraison de phytoplancton, le pétrole de l’Erika ou, plus récemment encore, les résidus des produits contrastants lors des examens IRM dans les hôpitaux et les centres d’imagerie médicale, injectés dans les veines des patients, qui s’en débarrassent ensuite aux toilettes, et des toilettes à la mer !-, et même, les aléas de courants de surface !
» Nous savons désormais que la coquille est une archive. Mais nous ne savons toujours pas pourquoi elle fabrique une strie quotidienne. »
Extraites par la main humaine du milieu marin où elles devaient inexorablement finir, valves érodées et finalement dissoutes, les voilà conservées jusqu’à nous, pleines d’une information environnementale qu’il nous reste à décrypter ! »
Quelle fut sa « valeur » autrefois ? » Durant la préhistoire, les coquilles étaient des éléments de parure, non une nourriture. On en a retrouvé dans les sépultures du Mésolithique (Téviec, Morbihan, 5400 av. J.-C.) et du Néolithique (sépultures d’Er Yoh sur l’île de Houat, Morbihan, 3000 av. J.-C.). La coquille est alors un bijou de prestige et un symbole de pouvoir, de renaissance, de résurrection. Elle était donc utilisée comme talisman et porte-bonheur.
Chez les hommes de Néandertal et les Homo Sapiens, c’est avant tout pour leurs valeurs symbolique et esthétique que les coquilles Saint-Jacques étaient ramassées, parfois à des centaines de kilomètres du littoral. Les hommes préhistoriques s’en servaient également comme d’un outil ou d’un récipient, notamment pour préparer des pigments, ainsi que l’en attestent les dépôts d’ocre rouge retrouvés à leur surface. »
Quelle est sa « valeur » aujourd’hui ? » la coquille Saint-Jacques est devenue l’emblème d’un écosystème menacé. Le souci de la préserver a conduit à l’étudier. Et les travaux de recherche ont changer son statut. Le regard que nous portons sur une espèce, sa « valeur », dépend de notre culture et de nos connaissances. Ce regard est bien évidemment toujours en mutation. »
Pour le moins, reconnaissons-là l’intérêt de la recherche brestoise et notre destin commun immémorial avec la Saint-Jacques. Qui en était réduite à » un animal qui n’est plus qu’un fruit de mer ou une décoration kitch « . Soit à rien d’autre qu’une marchandise exploitée jusqu’à son épuisement, intoxiquée et terrassée par, tel un virus étouffant, la crépidule invasive importée par les navires de l’US Army dans la rade de Brest.
Aujourd’hui, grâce à ce nouveau regard savant brestois, ainsi que ce vigoureux plaidoyer en faveur de cet animal sachant et agissant, la Saint-Jacques est amenée ainsi à reprendre place dignement à nos côtés pour dire et agir sur l’état du vivant en ce monde indéfinissable et incompréhensible. Elle sera, dit le biologiste marin » forcément précieuse quand on s’intéresse au climat futur ou aux variations futures de ce qui va se passer dans l’océan. »
Mais qui sait ce qui advient ?
Laurent Chauvaud à la toute fin de son dernier chapitre Arctic Blues, écrit ceci: « La course au profit est une course à l’abîme. La mer va monter et la glace disparaître. (…) On s’en souviendra si demain est humain. Si tel n’est pas le cas, les coquilles nous survivront et nous aurons aidé la mer à monter. »
On reste confinés…
D.D
Ce qui a été dit et écrit ici-même autour de Brest. Ainsi qu’autour du Chaos climatique.