Jacques Rancière, « L’offensive du capitalisme absolutisé ».
Écrit par admin sur 11 février 2020
… il me semble que la carte du monde social, telle que la décrivent ou la rêvent nos gouvernants, ressemble assez à un certain modèle du parc à l’anglaise avec des grands espaces découverts, des vallonnements doux et des eaux vives : un espace sans aspérités qui se laisse maîtriser du regard depuis le centre élevé qu’occupent gouvernants et banquiers, et où les flux de richesse et de population circulent à l’aise. Face à cela, le refus de l’ordre dominant prend volontiers l’aspect du barrage ou de la végétation qui obstrue le chemin : défense d’une zone agricole qui empêche d’éclaircir l’espace pour construire l’aéroport qui accélérera la circulation ; défense d’un régime de retraite qui empêche d’aplanir tout le système. C’est une république des biotopes – naturels ou sociaux – qui s’oppose au paysage oligarchique des grands espaces disponibles pour les aménagements du territoire et la circulation des flux. Cette manière d’objecter à la topographie dominante prolonge à sa façon la critique des paysagistes radicaux du XVIIIe siècle qui dénonçaient, dans ces parcs modèles, “le vide de la grandeur et du pouvoir solitaires”.
Jacques Rancière, philosophe – extrait d’entretien aux Inrockuptibles, le 04 février.
Ce qui a été dit et écrit ici-même autour de Jacques Rancière.