Archie Shepp, « Son. Musique. Blues. Justice. Liberté. » N°910
Écrit par admin sur 16 octobre 2019
Le jazz est sans racines. »
Archie Shepp, cité par Jean-Pierre Martin dans Real book.
Le racisme a toujours été une question de classe, à savoir l’exploitation d’une classe – que ce soit les capitalistes de notre époque ou les esclavagistes de siècles passés – sur la classe des travailleurs, des démunis, des spoliés. »
Archie Shepp – extrait d’un entretien paru dans L’Humanité, 1 Septembre, 2017.
Histoire de laisser chacun et chacune cogiter la question « En quel temps vivons-nous ?« , vous me voyez ce jour opter pour une bifurcation. Pour redonner un peu de chaleur et le pied léger à toutes celles et tous ceux qui dépriment et pas seulement à cause de la météo.
En direction d’un concert organisé par Arte. Le document est essentiel. Une perle ! Dans lequel s’exprime le souffle continu d’une des dernières grandes figures du jazz. Une heure en compagnie d’Archie Shepp, 82 ans. Artiste, tiré à quatre épingles comme à son habitude, à la générosité hors du commun dont peuvent en témoigner celles et ceux qui, comme nous ici, ont assisté à ses concerts aux festivals bretons de Langourla – voir ici– ou de Malguenac en 2007 – voir ci-dessous. Assis sur son siège, avec le sax ténor et le sax soprano à portée de main, qu’il délaisse de temps en temps pour chanter à pleins poumons, en précurseur méconnu du rap pour glisser des vers le long de sa musique. A la fin, à l’un comme à l’autre concert, jusqu’à tard dans la nuit tout le monde était debout. Des moments archi-inoubliables !
Prolifique saxophoniste, compositeur, pianiste, chanteur, poète engagé, auteur dramatique, enseignant à l’Université de Massachussets pendant trente et un ans, cette légende vivante de la musique incarne l’avant-garde free jazz. Une musique empreinte d’une musicalité faite de glissades dans l’aigu, un miroir des temps incandescents, tendant vers le nouveau mais en même temps profondément attachée à la tradition afro-américaine. Le jazz ?
Ce que vous appelez jazz, pour moi, c’est ma musique classique. »
Archie Shepp, dans le documentaire: Archie Shepp : je suis jazz, c’est ma vie….
Avec une grande honnêteté et détermination, lui pour qui l’art n’est possible que si « tu trouves un rapport entre ta lutte et ton amour », en gardant ses racines, Archie Shepp, malgré le passage des années, continue à évoluer dans le présent.
La musique représente des conflits sociaux, inclut des valeurs politiques, en particulier dans des contextes comme celui actuel. Il y a eu beaucoup de changements depuis que je suis jeune, y compris un président noir, que j’ai soutenu. Mais je crois que l’Amérique a encore beaucoup de chemin à faire ».
Dans cette émission, il nous gratifie de musique et d’anecdotes, en repassant sur des moments sombres de l’histoire américaine…
Quant à savoir ce que devient celle-ci, dans un entretien qui remonte à 2005 – lire ici-, à la question » Qu’est-ce qui a changé dans le monde depuis que vous avez commencé ? « , il répondait ceci :
« Pas mal de choses. Les gens sont plus pauvres qu’alors. Les SDF sont un phénomène qui n’existait pas lorsque j’étais enfant. Il y avait bien une rue avec des clochards qu’on appelait Tenderloiner, mais aujourd’hui à New York, dans le Queens ou à Brooklyn, on voit des gens qui font les poubelles, portant des sacs en plastique, ce qui montre bien que les conditions socio-économiques se sont détériorées, particulièrement aux États-Unis. Le système social américain s’y est détourné de nombreux citoyens, les gagnants sont montés en épingle, mais il y a tant de perdants. Que faisons-nous pour eux, allons-nous les effacer simplement ? Ils sombrent dans le crack… Les riches sont de plus en plus riches. C’est de plus en plus dur pour ceux qui sont marginalisés. Notre société est de plus en plus réactionnaire. Nos libertés et nos droits civiques sont annihilés, les jeunes sont découragés. Le racisme évolue sous une forme plus maline, fasciste, avec les skinheads, plus doctrinaire et sinistre. Le racisme est submergé par l’ascension de la pauvreté et le problème de la drogue… On peut se poser la question d’une future confrontation cataclysmique entre les racistes et les pauvres dirigés par la drogue. En Californie, les Creeps et les Bloods peuvent être aussi dangereux que n’importe quel groupe nazi. Il faut trouver un moyen de résoudre ces problèmes. Nous aurons soit un monde comme celui que George Bush essaye de créer, soit un monde plus sympathique, comme celui que certains Français évoquent, qui tient compte des pauvres dans nos sociétés. Il est important de dire non au capitalisme occidental qui n’a aucune conscience sociale (l’entretien a eu lieu à la veille du référendum sur la Constitution européenne). »
Voilà donc ce qui explique cela (« En quel temps vivons-nous ? »). Archie Shepp a le don de mettre le son et les esprits en résonance.
D.D
ici.