Jean-Yves Guengant, « Nous ferons la grève générale ». N°886
Écrit par admin sur 10 avril 2019
C’est par le biais d’un hommage à la figure marquante, mais effacée de la mémoire ouvrière, de Jules Le Gall, militant ouvrier à l’Arsenal, puis libraire et quincailler, que Jean-Yves Guengant, auteur du livre « Nous ferons la grève générale » dresse l’histoire de l’anarchisme et de l’anarcho-syndicalisme à Brest, dans le Finistère et en Bretagne.
Ce que son enquête historique fait sortir de l’oubli est que Brest, de 1900 à la seconde guerre mondiale, est une véritable « enclave libertaire «. Ville dans laquelle les anarchistes ont eu un rôle important dans le mouvement ouvrier. Celui-ci étant partagé entre deux courants: l’un est socialiste et s’appuie sur un parti et les élections; l’autre, libertaire, s’investit dans l’action syndicale. Et mise sur la solidarité ouvrière avec des formes d’entraide diverses, l’éducation populaire avec des modes de circulation de l’information et des savoirs, et sur son grand mythe: la grève générale.
La marine nationale était alors l’employeur principal avec l’Arsenal – dit « l’Arssnal ». Dans lequel s’appliquaient pour les ouvriers les mêmes règles que pour les militaires en exercice. Dès lors, l’anarchisme fut une réaction forte et permanente à ce système autoritaire qui empêchait les ouvriers des arsenaux à s’organiser et à pouvoir s’exprimer et donc critiquer leur employeur à l’extérieur de leurs lieux de travail.
Et dans la foulée de la critique de l’autorité, les anarchistes diffuseront localement l’idée antimilitariste, pacifiste, et prôneront la construction d’une société fondée sur la coopération. Pensant en 1914 que les ouvriers n’allaient pas partir à la guerre, c’est l’inverse qui se passât. Du coup, ce fut pour ces militants pacifistes internationalistes un échec dont ils ne s’en remettront pas.
Dès l’âge de 20 ans, Jules Le Gall, anarchiste, prendra la direction du syndicat CGT des ateliers des arsenaux comportant deux mille adhérents. En plus de mener des conflits, grèves et meetings pour des augmentations de salaire et conditions d’existence chez les dockers et à l’Arsenal, et d’en subir les répressions policières et de s’attirer de violentes attaques de ses adversaires, il cherchera à étendre les mobilisations ouvrières non seulement à Brest mais aussi dans le milieu des conserveries, à Douarnenez et Concarneau auprès des sardinières. Convaincus, lui et ses camarades, qu’il n’y a pas d’autres voix possibles pour un mouvement victorieux. C’est sur les lieux de travail, là où l’économie est vulnérable que l’on doit se concentrer. Par ailleurs, misant sur l’idée de la culture, il initiera la création à Brest d’une Maison du Peuple qui, créée en 1924, comporta une bibliothèque, un théâtre, une salle de spectacle, etc.
Promoteur d’idéaux de fraternité, dans cette « enclave libertaire «, il fit venir à Brest le chef du mouvement anarchiste ukrainien, Makhno, persécuté par le pouvoir soviétique, y fréquenta l’italien Pio Turroni, ou encore l’américain Bartolomeo Vanzetti – le grand combat de Le Gall sera la création d’un comité de défense des anarchistes américains Sacco et Vanzetti. Il se bat au côté des anarchistes espagnols pendant la guerre d’Espagne – les anarchistes brestois convoieront, entre autres, une centaine de camions d’approvisionnement en pommes de terre à destination de l’Espagne antifasciste. Puis survint le fascisme en France. Résistant, dénoncé en 1941 – par un « commerçant brestois (qui) avait été secouru par Le Gall avant-guerre alors qu’il se noyait! »-, c’est la très « républicaine » police française qui l’arrêtera en 1941. Il sera interné à Compiègne, puis déporté en Allemagne, au camp de concentration de Buchenwald. Il y est mort le 14 juin 1944. En juin 2008, la ville de Brest donna enfin à un jardin (photo ci-dessous) le nom de Jules Le Gall, Syndicaliste, Franc-Maçon et Résistant.
Pour compenser l’assourdissant silence qui entoure la mémoire de ces militants anarchistes en voulant restituer l’ébullition libertaire d’alors, j’imagine que l’historien brestois Jean-Yves Guengant a dû se colleter à un travail ardu de recherche d’archives ouvrières mises à mal, le mot est faible, par le pilonnage anglo-américain d’août 44 – pour avoir une idée de ce qu’il en restait après déblaiement, voir ici. Néanmoins, des écrits sont restés. Grâce à la diffusion continuelle de journaux anarchistes et syndicaux locaux – pour lesquels les militants ouvriers rédigeaient des textes précis et bien formulés. Ainsi qu’aux rapports de police et de renseignement – comme en témoigne cette étude-ci.
Ce qui a été dit et écrit ici-même autour de Brest