Métamorphoses. n°24
Écrit par D.D sur 13 octobre 2010
Evoquer l’époque dans laquelle nous vivons mène rapidement à parler de « crise ». L’environnement, l’économie, la société, etc.. sont devenues aujourd’hui les têtes de châpitres d’une seule même histoire: celle de la crise. Nous le voyons, nous le sentons, nous sommes quotidiennement aux prises avec cette ambiance étrange, ce malaise qui existe aujourd’hui un peu partout, ce malaise de plus en plus largement partagé. L’instabilité chronique des relations, l’opacité quant au visage que prendra l’avenir, la fuite en avant devant la situation écologique en sont ses symptômes. A l’évidence, la « crise » hante notre époque.
Mais si elle désigne quelque chose de funeste, de maladif, elle est aussi le nom d’une phase critique où une décision doit se prendre. Le mot, dont on trouve les prémices dans le mot grec « krisis », signifie le moment du jugement, le moment où se décide le sort de quelqu’un ou de quelque chose. Dans cette phase de manifestations des dysfonctionnements, c’est un changement qui est en train de s’opérer, et dont on ne connaît pas encore l’aboutissement. En tant que telle, la crise est donc aussi bien ce moment où le pire peut arriver que celui d’où une métamorphose peut advenir; d’où le sublîme peut voir le jour, d’où l’invention de nouvelles manières d’être et de vivre peuvent surgir. La crise est ce moment où « le probable est la désintégration. L’improbable mais possible est la métamorphose. » *
Ainsi, comme arrivée à une croisée des chemins notre époque est ce moment où un choix doit se faire. Et, parce que la catastrophe est notre horizon, parce que chaque jour le monde est rendu un peu plus inhabitable, ravagé implacablement par la logique capitaliste, parce que ce qui nous tue aujourd’hui est cette vaste entreprise économique qui délie, contrôle et maîtrise les relations, on ne saurait, sans succomber à la fatalité, abandonner ces deux vertus précieuses que sont l’enthousiasme et la lucidité. Parce que nous savons aussi que cette société où tout être et toute chose n’a plus d’autre sens que de se plier servilement aux caprices des cours de bourses et de la finance, cette société du court terme, où rien ne doit rester, où l’oubli est souverain, est une société qui court à son terme, seul cet appel à y résister en inventant de nouvelles manières de vivre communes est susceptible de nous sauver.
A l’évidence cela est une épreuve. Et nous n’en connaissons pas l’issue. En effet l’extension démentielle des techniques de contrôle, des dispositifs sécuritaires, des polices ou bien du chômage ne sont que les moyens mis en oeuvre pour conserver ce vieux monde et empêcher de nouveaux de se constituer. La fragmentation des cours de vies, les discontinuités dans les relations, la séparation avec tout ce qui permet de constituer du commun n’en sont que les expressions. On le sait, le pouvoir ne gouverne qu’en séparant ceux qu’ils gouvernent et c’est à cette séparation, à cette errance solitaire, à cette prolétarisation qu’il s’agit de résister. Une question que Richard Sennet posait ainsi « Comment entretenir des relations sociales durables ? Comment un être humain peut-il se forger une identité et construire un itinéraire dans une société faite d’épisodes et de fragments ? Dans la nouvelle économie, l’expérience dominante est celle de la dérive de lieu en lieu, de job en job. […] le capitalisme du court terme menace de corroder le caractère, en particulier les traits de caractère qui lient les êtres humains les uns aux autres et donne à chacun un sentiment de son moi durable » ** A cela, seule l’amitié entre ceux qui partagent ce refus de la fatalité, une amitié qui ne se castre pas de sa teneur politique, une amitié qui se gouverne elle-même, seule cette amitié peut susciter la métamorphose.
* dictionnaire historique de la langue française
** « Eloge de la métamorphose ». E. Morin
*** « Le travail sans qualités ». R. Sennett
M.D