La bourse ou l’avenir. N°22.
Écrit par D.D sur 4 août 2010
Aujourd’hui que les gouvernements en France et ailleurs usent d’un populisme xénophobe en désignant les immigrés comme la cause des souffrances engendrées par la crise économique, la question qui est posée est celle de la forme que prendra l’avenir. En effet l’incertitude quant au visage qu’il adoptera explique en grande partie les peurs et ce sentiment d’insécurité dont on parle depuis tant d’années maintenant. L’instrumentalisation politique et nauséabonde de ces inquiétudes, vieille technique de pouvoir, cherche en effet à masquer et détourner les regards des pratiques décadentes si ce n’est délictueuses qui sont à l’oeuvre dans le monde financier. Holdings, établissements financiers, intermédiaires, grands actionnaires et autres gestionnaires de fonds de pension, envers lesquels les gouvernants avaient promis la plus grande sévérité à la suite de la débacle des subprimes de 2008, continuent leurs activités comme si de rien n’était. Plus même, on peut désormais penser qu’ils sont les grands gagnants de cette crise. Et l’impuissance, le laxisme ou la complicité, c’est selon, dont font preuve les gouvernements à leur égard se traduit en négatif par des politiques ultrasécuritaires et stigmatisantes ciblant les populations les plus défavorisées. De toute évidence la conservation d’un système capitaliste anomique, à l’origine d’angoisses de plus en plus marquées, s’opère en désignant l’étranger comme origine de tous les maux.
Face à cela, la résistance ne va pas sans la nécessité de projeter un avenir, de formuler de nouvelles configurations. Et c’est ici toute la difficulté parce que c’est la possibilité même d’envisager le futur qui s’évanouit dans une société soumise à la financiarisation de l’économie. En effet cette perte de maîtrise sur le futur qui touche de plus en plus de gens, la précarité en somme, est précisément l’effet du capitalisme financier. Loin d’être une situation tombée du ciel, elle est le résultat de plusieurs décennies de politique d’érosion des protections sociales et de flexibilisation du marché du travail. A la déréglementation et l’informatisation de la finance dans les années 80 permettant aux capitaux de circuler librement tout autour de la planète s’est ainsi conjointement mise en place une véritable destructuration du monde du travail. » Comme s’il fallait qu’à la volatilité des marchés financiers corresponde une volatilité du marché du travail : multiplication des emplois précaires, des intérimaires, des contrats à durée déterminée, des licenciements brutaux… Tout est bon pour favoriser une flexibilité des politiques d’embauche et de licenciement afin de répondre en permanence aux exigences supposées du marché financier. »* Le seul principe organisateur de cette logique se résume à la rentabilité financière à court terme de telle ou telle activité, selon les cours quotidiens de la Bourse. Tout cela fait évidemment peser perpétuellement une épée de Damoclès sur la tête de chacun, l’amenant à prier tous les dieux pour que les « investisseurs » ne se désengagent pas de l’affaire.
La précarité dont on parle tant aujourd’hui, et qui est clairement la conséquence de cette financiarisation de l’économie, est un dérivé du latin précari qui veut dire « demander en priant ». « Ce terme juridique qualifie ce qui n’est octroyé que grâce à une concession, une permission révocable par celui qui l’a accordée »**. N’est-ce pas là aujourd’hui le pouvoir du monde financier sur quasiment l’ensemble de nos activités ? Un pouvoir tel que l’avenir de la majorité est suspendu à cette concession, à chaque instant révocable, qu’accordent les « investisseurs » ? Dans l’affaire, l’angoisse que chacun éprouve plus ou moins selon sa place naît de cette impression que l’avenir qu’il dessine peut lui être retiré d’un jour à l’autre. Et cela touche aujourd’hui quasiment l’ensemble de la société. Ce qui amène Robert Castel a dire : » Peut-être notre société est en train de perdre […] la représentation d’un avenir quelque peu maîtrisable […] perdre le sens de l’avenir c’est voir se décomposer le socle à partir duquel il était possible de déployer des stratégies cumulatives qui rendraient demain meilleur à vivre qu’aujourd’hui. »*** On pourrait s’arrêter sur ce constat lugubre, celui d’une société dans laquelle l’avenir est confisqué et qui condamne en premier les personnes les plus défavorisées, celles à qui est refusé un avenir décent. Toutefois, on ne peut penser que cela continuera sans heurts. Paul Valéry, pour décrire après coup le désarroi de la société de la seconde moitié du XVIIIème siècle, disait » le corps social perd tout doucement son lendemain ». C’était à la veille des bouleversements inouïs de la Révolution française.***
* « La société malade de la gestion », V. de Gaulejac
** « Dictionnaire historique de la langue française »
*** « Les métamorphoses de la question sociale », R. Castel
M.D
Chronique:
Cet avenir est d’autant plus confisqué que le temps nous est aussi confisqué, ( le temps social : à l’usine, au bureau, les trajets de plus en plus longs, l’âge de la retraite)…que l’espace (celui de l’habiter) nous est confisqué…
« Un monde en cours d’arraisonnement, un temps qui est manipulé et géré comme un outil, un bien, un fonds, impose à une subjectivité absolue agissant comme maître et possesseur de la nature un aménagement de l’espace correspondant à ce projet. »*
Jean-Paul Dollé écrit que « la crise des subprimes, née du développement de la technologie financière de ces dernières décennies, soit indexée sur le « produit maison » n’est peut-être pas aussi fortuit qu’il peut sembler à première vue. »** L’habitat, la maison constitue la forme la plus élémentaire d’exister. Acquérir une maison surtout pour les membres des minorités afro-américaines…c’était intégrer la fameuse « classe-moyenne », c’était devenir américain, donc ( !) libre…
Et d’une façon plus générale (et en raccourci !) c’est tout l’espace-Terre qui est confisqué : (on ne parle ici, aujourd’hui, « que » de confiscation, et non de destruction !) par la confiscation de l’espace agricole, par celle des terrains des gens du voyage, comme on vient de le voir, de l’espace partagé, de l’espace commun dans les villes, par la relégation dans les zones de consommation ou de loisir (c’est pareil !) de toute une « fange » de la population. « Mais on n’habite pas ces zones, tout au plus y est-on logé et assigné à y travailler – pour survivre – et à se distraire –pour oublier d’être réduit à cette survie. »**
«Le capitalisme n’a de cesse de construire son espace. »**
« Le capitalisme, structurellement, produit l’inhabitable. »**
Jean-Paul Dollé : L’inhabitable capital.
*Jean-Paul Dollé : Le territoire du rien
Françoise.
06/08/2010 10:10