Planète migrants, l’agriculteur qui sème l’humanité. N°769
Écrit par D.D sur 11 janvier 2017
Zygmunt Bauman, l’un des plus grands sociologues du XXe siècle (voir chronique-ci), vient de mourir. Dans son livre La Vie liquide, il dit ceci « cette question hautement démocratique: comment voulons-nous vivre demain ? La priorité doit être donnée aux citoyens qui ne se contentent pas de renoncer -moins de trajets en voiture, plus de trajets en tramway – mais qui contribuent culturellement aux changements qu’ils jugent bons. »
Priorité ce jour sera ainsi donnée à cet agriculteur-citoyen qui sème l’humanité.
«J’agis illégalement, mais je le fais pour sauvegarder les droits des mineurs, migrants. Il est de notre devoir de se lever quand les choses vont mal. Pour cela, je vais continuer. La démocratie nous oblige à sortir dans les rues et regarder dans les yeux des gens qui sont à côté de nous, et les aider, même si nous ne savons pas « . « Ce que je fais n’est pas un sacrifice, c’est un honneur. »
Ces propos sont ceux de Cédric Herrou, agriculteur de 37 ans, qui depuis pas mal de temps aide à entrer en France, pour des raisons humanitaires, les migrants sans permis de séjour. Son engagement est maintenant une affaire politique, qui a dépassé les frontières françaises.
A son encontre le procureur du tribunal de Nice a requis huit mois de prison avec sursis. Pour aide à l’immigration illégale (aide à l’entrée, à la circulation et au séjour de personnes en situation irrégulière). Et d’avoir revendiqué son action dans les médias (dans un article du New York Times, début octobre). Mercredi dernier, lors de la première audience à la cour de Nice, plusieurs centaines de personnes ont tenu à exprimer sur place leur solidarité avec le paysan français. La décision est attendue pour le 10 Février.
Avec sa vieille camionnette, Herrou a aidé les migrants à franchir la frontière italienne pour entrer illégalement en France. D’autres fois, il les a accompagné à travers les montagnes. Non seulement, l’agriculteur a installé un camp de réfugiés dans un bâtiment abandonné appartenant à la SNCF où il leur a donné la nourriture et de l’assistance. Et il y a deux ans, il a été surpris au volant de sa vieille camionnette avec certains migrants érythréens. L’affaire avait eu un suivi judiciaire, le juge avait estimé alors que Herrou ne l’avait pas fait pour l’argent, mais pour raison humanitaire. Donc sans comparaison avec l’action d’un contrebandier, qui, moyennement paiement, passe en contrebande des gens à travers la frontière.
Tout cela se passe dans la vallée de la Roya (Parc naturel du Mercantour), une zone frontalière entre la France et l’Italie, à quelques kilomètres de Vintimille. Au village de Breil-sur-Roya (photos) où réside Herrou, il y dirige une exploitation produisant des œufs, de l’huile d’olive et de la pâte d’huile d’olive. Sa maison qui se tient à trois kilomètres de la frontière est la première sur le chemin quand on arrive en France. Si bien que c’est tout naturellement la première porte qu’on vient toquer quand on a faim, quand on a froid, quand on est perdu, quand on est malade ou blessé.
Dans cette même vallée où tout le monde sait ce qu’il fait pour aider les migrants, s’est mis en place également un collectif d’aide à ceux-ci -quatre membres de l’association Roya citoyenne ont été interpellés vendredi (lire ici). Ce collectif compte une centaine d’adhérents et gère logistique et récolte des dons de plus en plus nombreux, et assure des maraudes en distribuant chaque soir entre 250 et 300 repas à Vintimille -ce qui requiert des moyens spécifiques (lire ici). Deux médecins et une dizaine d’infirmières soignent les arrivants souvent en mauvaise santé.
C’est peu d’ajouter que beaucoup d’habitants soutiennent l’action de l’agriculteur, si bien qu’à la fin de l’année il a été élu l’« Azuréen de l’année 2016 » dans un sondage publié sur le site du journal Nice-Matin (avec 4257 voix sur 7677 votants).
Puisque la France a fermé sa porte, dans cette zone enclavée, de nombreux migrants se retrouvent bloqués. Cul-de-sac et tour de vis supplémentaire.
Alors la marche. La marche en avant. Pour sortir de là. Pour contourner le verrou frontalier la seule solution pour les passants est de passer à travers les montagnes ou sur d’autres routes à travers la vallée, la pluie, le vent, la faim, le froid, la peur. Parfois/souvent le visage dans la terre, pour se rendre imperceptible. Connaissant les brèches, Herrou les aide, les accompagne. Situation qui ramène dans le présent les images d’hier. Un « nous » prend forme. Un « nous », issu de l’ombre, s’annonce. C’est un « nous » en marche sur les arêtes.
«Je sais que la loi est contre moi, contre ce que je fais pour aider les gens en difficulté, mais nous voulons changer cette loi », dit-il. En assumant devant le tribunal toute la responsabilité de ce qu’il a fait et fait. Même encore ces jours-ci, où avec l’aide des autres habitants de la vallée, il accueille les migrants de passage, principalement des Erythréens, et met à leur disposition des tentes et des caravanes placées sur ses terres.
«J’ai pris avec moi quelques filles qui avaient tenté de franchir la frontière au moins douze fois. », a-t-il déclaré au procureur de Nice. Face à ce dernier la figure emblématique du combat des habitants de la vallée en résistance, a essayé d’expliquer que tout ce qu’il est en train de faire est d’aider les migrants qui fuient la guerre, la répression, la faim, et parmi eux de nombreux enfants, c’est-à-dire les personnes que l’Etat, après avoir fermé la frontière -les autorités ont rétabli les postes frontières et déployé des barrages fixes ou mobiles le long des routes-, abandonne à leur triste sort.
Ce qui signifie : abandon par l’Etat du devoir d’assistance envers les mineurs. Ou selon la plainte déposée par la Roya citoyenne : « délaissement des personnes hors d’état de se protéger ».
« Cela vous prend beaucoup de temps, au détriment de votre exploitation agricole, vous en êtes de votre poche, pourquoi faites-vous tout ça ? », demande la présidente. « Il y a un problème, répond simplement le prévenu. Mon inaction et mon silence me rendraient complice. Il faut le faire. Il y a des gens qui sont morts sur cette autoroute ; des gamins qui sont morts sur les voies de chemin de fer ; il y a un État qui a mis en place une frontière et ne gère absolument pas les conséquences. La frontière blesse. »
« Ce n’est pas en m’emprisonnant que ça résoudra le problème. Le problème ce sont les femmes, les hommes qui souffrent et qui n’ont pas de voix. (…) A côté de Liberté et Egalité, il y a aussi Fraternité. » a-t-il déclaré à la sortie du tribunal. En poursuivant : « Notre rôle, c’est d’aider les gens à surmonter les dangers, et le danger, c’est cette frontière qui a été établie au nom du terrorisme. »
Pour « aide à la circulation et au séjour d’étrangers en situation irrégulière », il risque 5 ans d’emprisonnement et 300.000 euros d’amende. Interdit de donner un coup de main ! En vérité rien de comparable à celui -ci !
D.D
https://www.youtube.com/watch?v=Aoy1RgADCco
Ce qui a été dit et écrit ici-même autour des migrants.