Jocelyne Porcher, « Réinventer l’élevage, une utopie pour le XXIème siècle ». N°677
Écrit par D.D sur 1 avril 2015
Ses propos m’ont rappelé ceux de Kristin Ross quand Jocelyne Porcher nous a dit « L’on ne sait rien de la résistance des paysans comme de la résistance des ouvriers, il y a toujours eu des épisodes de lutte contre la progression de l’industrialisation, mais l’histoire est toujours écrite par les vainqueurs. » C’était samedi dernier dans l’amphi des Champs Libres à Rennes plein comme un oeuf, à l’occasion de sa conférence sur le thème « Réinventer l’élevage, une utopie pour le XXIème siècle« . Jocelyne Porcher est directrice de recherche à l’INRA.
Ancienne éleveuse de brebis, ancienne travailleuse en porcheries industrielles, technicienne en agriculture biologique, dans son cursus de formation, pour préparer son BTA elle incorpora le Centre de formation professionnel agricole de Combourg. C’est alors qu’elle découvrira la production porcine, ce qui la fera prendre conscience de ce qui l’habitera jusqu’à ce qu’elle devienne cette voix originale qui pose de nos jours la question fondamentale de la relation entre l’homme et l’animal.
Dans son dernier ouvrage « Vivre avec les animaux ? Le système industriel de production de viande en question« , elle présente une critique décapante de ce qu’elle nomme le système industriel de production animale. Qui après avoir broyé 10 000 ans d’élevage en seulement 200 ans, depuis l’industrialisation de la société au 19ème siècle avec la prise conscience que la nature et les animaux recèlent une manne de profit potentiel, se dirige activement vers la production de viande in-vitro, c’est-à-dire dit-elle de « viande morte, puisqu’il s’agit là de production du vivant sans la vie ». Le développement de celle-ci, des protéines de viande qui rendrait l’animal superflu, entraînera inéluctablement la disparition des animaux. Y compris de nos animaux domestiques.
Si Jocelyne Porcher s’efforce de tracer les lignes d’une alternative radicale à l’industrialisation où l’animal est nié jusqu’à n’être plus que du minerai de viande pour les multinationales et fonds d’investissement et leurs start-up alimentaires au mode de consommation/production de viande entraînant des conséquences désastreuses pour la santé humaine et pour l’environnement, elle se démarque aussi des défenseurs des animaux ou s’autoproclamant tels. Qui participent au motif du « bien-être animal » à l’anéantissement de l’élevage en l’accusant de générer de la souffrance animale. Ceux-là, du mouvement de libération animale, font collusion avec le système agro-industriel tout en donnant l’impression de s’y opposer, devenant même un outil de celui-ci.
Puis avec l’obligation, aujourd’hui pour tout le cheptel européen (environ 300 millions d’animaux) du puçage électronique qui sert au traitement informatique des données produites par l’animal (ce qui rejoint aussi le thème de la Chronique précédente, une façon d’industrialiser ce qui ne l’était pas), de la traçabilité, des vaccins, arrangements administratifs et règlements, elle dresse un réquisitoire radical sur les normes produites à tour de bras.
C’est tout un ensemble qui fait disparaître l’élevage. Puisque face à cela, toute alternative devient marginale, immédiatement illégale, et juridiquement condamnable. Tout ce qui est réalisé à l’échelle locale devient suspect. Au profit de certains choix industriels selon l’importance du lobbying, à savoir ceux des entreprises les plus influentes auprès de l’Etat, du moins à leur profit momentané, car la concurrence interne à l’oligarchie est sans fin.
A cela s’ajoute la disparition des petits abattoirs de proximité, comme le signale dans l’assistance un petit éleveur résistant qui transforme et vend à la ferme, sur lequel peut s’abattre à tout moment contrôle et condamnation.
D’ailleurs à propos d’abattoir, Jocelyne Porcher dit que ce mot n’est plus employé parce qu’il faut effacer de nos jours la relation directe entre la viande que l’on consomme et la mort. Alors l’on parle d’usine de transformation, la novlangue étant également présente dans ce secteur. Pourtant dans celle-ci les animaux arrivent bien vivants d’un côté et en ressortent en morceaux de l’autre.
Elle parle aussi du mal-être psychique et physique des ouvriers chargés de l’abattage. Cassés à 50 ans. Causes: gestes répétitifs d’où troubles musculo-squelettiques (TMS) (affections des muscles, tendons, nerfs, articulations et os), à peu près les mêmes que ceux constatés chez les animaux dans leur parcage.
Face à cela Jocelyne Porcher oppose l’élevage, c’est-à-dire la relation de travail entre éleveurs et animaux, dont elle montre à quel point il est important de le défendre. Tant que persistent des paysans qui, en luttant pied à pied, continuent à élever leurs vaches ou leurs cochons à l’herbe et aux champs, ou poulets élevés en libre parcours, à les respecter, à les aimer et à leur donner une vie aussi bonne que possible. Sans quoi c’est notre propre humanité qui en prendra un sale coup. Notamment au travers de notre propre relation avec la vie et la mort, les difficultés et les joies, les bons moments et les mauvais: « les animaux, il faut s’en occuper comme des gens, c’est pareil » (Éleveurs et animaux. Réinventer le lien) Bref, ce qu’elle nomme, le lien de bonheur et de souffrance partagés qui existent entre éleveurs et animaux.
Sociologue, elle pose la question du sens: quelle est la place de la mort dans le travail avec les animaux ? Il y a, écrit-elle, « perte de la relation avec les animaux qu’on élève, une relation qui a des dimensions affective,imaginaire, culturelle et même individuante pour nous ». A un point tel, nous dit-elle, que des poulaillers industriels sont équipés d’aspirateurs à… poulets ! Pour rationaliser les processus de production ! Le délire !
Zootechnicienne critique, elle dénonce: « la zootechnie assimile les animaux à des choses » -zootechnie voulant dire: « science de l’exploitation des animaux au service des nations industrielles ». Cette course folle est contre-productive, et en se détruisant elle-même, détruit tout : la biodiversité assassinée, le climat déréglé, des pesticides partout répandus, complètement hors de contrôle … Ces coûts réels restant invisibles.
Le travail a congédié l’animal. Prit place la mécanisation des campagnes conduite à marche forcée. Mais, voici le paradoxe, l’animal après s’être absenté cinquante ans -tenu depuis lors, bêtes que nous sommes, pour la quantité négligeable d’un tas de viande dont on efface la mort et donc la vie-, y revient. Et reprend une part croissante. Un constat de résistance ? Disons, une réinvention. Citons les chiens de service : de pompiers, de policiers, d’armée, d’aveugles, etc. Puis en version écologique, le cheval « territorial » dans les communes pour tracter les poubelles, ou les enfants à l’école, ou le débardage en forêt. Ou les moutons pour brouter les espaces verts. Du coup, l’on assiste au retour de l’animal au travail.
Ce faisant, on l’aura compris, entendre ce retour au sens qu’elle donne au travail. A savoir non d’exploitation et de domination, voire de tyrannie exercée contre les animaux, qui permet d’en user et d’en abuser en tant qu’outils, en tant que bien meuble, mais au sens de la reconnaissance et du « vivre ensemble ». C’est à cela que s’attèle aujourd’hui Jocelyne Porcher. Elle affûte ses arguments : « la condition animale c’est le reflet de notre condition. C’est un même bloc. La condition humaine c’est la condition animale aussi. On est la même matière. «
D.D
Voir cet excellent dossier d’Arte: « Viande, la face cachée d’une production effrénée ».
Et ce reportage photo sur les méga-fermes.