« Faire foin d’un titre ». N°563
Écrit par D.D sur 16 janvier 2013
Denise Le Dantec, philosophe, poète et peintre, résidente à L’île Grande (Côtes d’Armor), est l’auteure d’un livre étonnant « L’homme et les herbes » (éditions Apogée). Comme l’indique sa présentation : « pour tout savoir sur les différentes herbes, leur histoire, leur utilisation, leurs vertus, leur relation avec l’homme (jeux et sports, l’herbe dans l’art, les proverbes et dictons)».
Dans sa préface, elle écrit à un moment : « L’herbe est métaphore du croisement de la nature et de la culture, ce qui, je l’ai dit, m’intéresse au plus haut point.
Par les matières qu’elle fournit, parfois toutes préparées ou presque, ou bien par le façonnage et l’ »industrie » que, pour être utile, elle peut exiger, l’herbe s’intègre la culture –et même en est comme le soubassement.
Spontanément généreuse, sa vocation est pour ainsi dire bipolaire, invitant aussi bien au travail que, par le rassurant accueil de sa verdure, au repos, à la nonchalance, voire à la somnolence – tout comme à l’insouciance de la digression, de la marge et du hors-texte ; ou encore à une forme de thésaurisation positive.
Au premier rang des activités que génère l’herbe se trouve l’agriculture, cette transformation du sauvage amer en agréable comestible. De là l’homme, « espèce cuisinière », artisan du passage du « cru » au « cuit », domesticateur du feu, a accompli son passage à la civilisation ».
Bref, un bel hommage aux espèces et familles d’herbes qui le méritent bien, ça nous sort de l’ordinaire. Les célébrer avec poésie et tendresse, c’est encore plus rare. La philosophe bretonne le fait. Et elle a raison. Car vue de loin, l’herbe est toujours la même. Mais de près, c’est l’inverse. Il suffit de s’y intéresser pour se faire une idée de la multitude qui la compose. Bon, de plus en plus de gens s’y intéressent à titre culturel, écologique ou scientifique d’accord, mais dans le même temps se réduit à portion congrue le nombre de paysans qui n’ignoraient rien de son usage. Fatalement, perte d’observation « au champ », donc d’ « éco-compétences ». A l’avenir le pire est à craindre en terme de diversité des végétations. Entre autres choses…
Car les vrais connaisseurs ce sont les animaux qui pâturent. Par intérêt les paysans ont appris à le savoir. Mais cette connaissance s’estompe. Tenez, je vous fais part de ma bien modeste expérience. N’ayant pas su ou pu à temps renouveler la qualité fourragère de leur pâture, notre âne (Jules) et nos deux chèvres (Teatree et Dodue) mangent du foin en complément (surtout quand il pleut et en plein hiver, soit 3 mois et demi en général. Et un peu par ailleurs, pour le plaisir à la bonne franquette. Mais gare à la fourbure!). Non pas parce que dans leur pré l’herbe manque mais en raison de la médiocre qualité de celle-ci. Car par endroits s’épanouissent ces herbes indésirables en prairie comme les orties ou les renoncules. Ne s’y trompent pas ces animaux. Ont l’oeil. Regardants jusqu’à ce que nous leur glissons chaque soir dans leurs râteliers. Ces herbivores-là ne se mettent pas n’importe quel foin sous la dent (contrairement à ce qui est dit souvent). Sur ce plan comme sur d’autres, âne et chèvres par-delà leur différence, ont la même opinion. La moindre des choses.
Anecdote qui remonte à l’été dernier à l’occasion d’une livraison de balles de foin – selon le Larousse, le foin est « de l’herbe fauchée puis séchée destinée à nourrir le bétail ». J’explique : pas facile d’être suffisamment équipé pour faire son propre foin, et il n’est pas toujours évident de trouver un paysan d’accord de venir avec son matériel pour une petite surface; le recours à un fournisseur extérieur s’avère la solution la plus intéressante. Problème : le stock des foins séchés ça file vite . Par conséquent, nous avions passé commande via le site « leboncoin ». Avec comme condition d’achat une livraison dans les meilleurs délais.
Dès l’arrivée de la remorque, l’une après l’autre, nos bêtes se sont approchées d’elle. En ai retiré trois ou quatre balles et les ai disposé à leurs pattes. Elles les ont flairé, y ont fourré leurs naseaux comme pour y trouver une aiguille de bonne herbe dans une balle de foin sec. Nada. Ont vite relevé la tête. Sidérées j’imagine. Leçon muette et sans appel: pas d’appétit. A l’unanimité réfractaires à l’odeur de ce foin sans qualité. Non-identifiable. Bien qu’en apparence c’était du foin. Alors que ces balles nouvelles auraient dû évoquer à nos bêtes « la terre comme si celle-ci était une réserve vibrante d’odeurs d’herbes toujours différentes. L’odeur du foin, qui a perdu l’acidité de l’herbe vive, exhale une senteur subtile, légère et douce, capable néanmoins d’émouvoir un nez au point qu’il éternue. » (Denise Le Dantec). Tout est dans l’odeur. Pas la peine d’insister vu leur jugement catégorique, l’on a vite compris qu’aucune négociation n’était possible. A court, moyen ou long terme.
Du côté du marché passé, nous restait comme meilleure solution que de se retourner vers ce marchand de foin de rien. Pour lui signaler que nos « bêtes » n’étaient pas preneuses. Qu’elles trouvaient que ça ne collait pas. Qu’en qualité de vraies consommatrices, en elles nous avions toute confiance. Et qu’en conséquence l’on refusait de réceptionner la livraison. Pour le délai court pas de problème, mais au motif que la marchandise attendue n’était pas au rendez-vous. Bon, gênant quand même. Mais finalement ce jeune vendeur qui exerce en ligne, admit implicitement la médiocrité de sa fourniture herbée (foin humide plus mou que jamais). Nous fît pas payer. Sans se ranger cependant à l’avis de nos experts à quatre pattes, vu ses mimiques. Puisque se flattant de nourrir ainsi ses chevaux et d’en faire commerce auprès d’un client qui tient un manège. On plaint les chevaux. Doivent crever la dalle pour se caler la panse avec pareil mauvais fourrage. En dernier recours nous nous sommes alors rapprochés d’un agriculteur retraité qui pour améliorer son quotidien se fait vendeur de foin du coin, le bon celui-là. Avec plus de succès quant à l’approvisionnement. Du bonheur pour les bêtes. La joie.
Voilà pour l’anecdote. A tous points de vue, sérieux, à défaut de paysans, n’y aura plus que les bêtes qui sauront ! Du moins celles qui, en plein air dans les pâturages broutent à ras, pas en « hors-sol », ont encore gardé le goût et sa bonne odeur. Problème: les bêtes ça « parlent peu ».
De Jean-Christophe Bailly, dans le Versant Animal : « …Par rapport à cette direction qui semble inéluctable, tout animal est un commencement, un enclenchement, un point d’animation et d’intensité, une résistance.
Toute politique qui ne prend de cela aucun compte (c’est-à-dire la quasi-totalité des politiques) est une politique criminelle. » Mais avant l’animal, oui, l’herbe !
D.D
françoise Sur 16 janvier 2013 à 20 h 17 min
Et là, tu as fait foin d’un titre pour la chronique!je propose donc : « faire foin d’un titre »
Et pour continuer à citer JC Bailly dans Le versant animal :
« mais chaque animal, pour peu que nous lui prêtions attention, pour peu que nous le regardions être et se mouvoir, est le dépositaire d’une mémoire qui le dépasse comme elle nous dépasse et où tous les frottements de son espèce à la nôtre sont inscrits.… »
Et « le règne végétal tout entier est une usine fractale, un vertige de solutions tremblées luttant les unes avec les autres en une inextricable pelote de cheminements aveugles. »