百度. N°446.
Écrit par D.D sur 7 octobre 2010
Pas de doute Athènes est, en ce moment, pour l’année 2010, capitale européenne. Ainsi apprend-on que la dette de la Grèce vient d’être rachetée par la Chine. De la même manière qu’une entreprise en liquidation se fait racheter par une autre au prix de sa dette, cet Etat en cessation de paiement trouve repreneur moyennant d’immenses contreparties qu’on n’imagine pas encore. La Chine se paie ainsi sa tête de pont pour le Bassin méditerranéen et une plate-forme logistique maritime pour leurs exportations en Europe. Ce n’est qu’un début, la Chine s’intéressera de près aux pays en crise de la zone « euro », dit-elle. Quelle en sera la prochaine capitale? On l’imagine en Espagne, en Irlande, au Portugal, mais peut être bien en France plus vite qu’on le croît au train où va l’extravagant cirque sarkozyen en tournée continue. Quel tournant…historique ! Quel événement ! D’autant plus que selon les Chinois, ce serait les Grecs qui les auraient sollicités. Sans doute après s’être fait rabroués par les Allemands, on appelle ça un pied de nez! Lire « Les Chinois anges ou démons ».
J’avoue n’avoir jamais mis le pied ni en Grèce ni en Chine, mais néanmoins j’émets deux hypothèses.
1. Première hypothèse: lentement, comme pour rendre service, en prenant son temps la Chine en tant que puissance financière, prolongera et amplifiera jusqu’au jour où elle y posera ses lois. En attendant qu’elle les façonne. Mais déjà elle les façonne. Nous n’avons ni la même conception du temps ni la même conception de la démocratie, cette invention grecque si contraire au totalitarisme. D’où le symbole !
Comme s’entrechoquent ici deux univers de pensée bien distincts, peut être est-il utile de se raconter une histoire connue depuis belle lurette : le retour (ou la vengeance) du Cheval de Troie ou la consécration de la « métis » ! Homère :« (…) l’histoire du cheval qu’Épéios, assisté d’Athéna, construisit, et traquenard qu’Ulysse conduisit à l’acropole surchargé de soldats qui allaient piller Troie. »
«Après avoir vainement assiégé Troie pendant dix ans, les Grecs ont l’idée d’une ruse pour prendre la ville : Épéios construit un cheval géant en bois creux, dans lequel se cache un groupe de soldats menés par Ulysse. Un espion grec, Sinon, réussit à convaincre les Troyens d’accepter l’offrande, malgré les avertissements de Laocoon et de Cassandre. Le cheval est tiré dans l’enceinte de la cité qui fait alors une grande fête. Lorsque les habitants sont pris par la torpeur de
l’alcool, la nuit, les Grecs sortent du cheval et ouvrent alors les portes, permettant au reste de l’armée d’entrer et de piller la ville. Tous les hommes sont tués, les femmes et les filles sont emmenées comme esclaves. Les enfants mâles sont tués eux aussi pour éviter une éventuelle vengeance. Dans l’épisode du cheval de Troie, Ulysse, personnage devenu célèbre pour sa « métis » (« intelligence rusée »), ici il s’agit en fait d’une ruse. Elle se distingue de la triche mais aussi du délit (ou du crime) en cela que la ruse est autorisée par la loi ou les règles de l’usage, du jeu, de l’art, de la société, ou des accords internationaux. En l’espèce de l’art de la guerre chez les grecs, il s’agit plus particulièrement d’une ruse de guerre. » Voilà pour le mythe. Parions que c’est une histoire qui va faire fureur en Chine !
2. Seconde hypothèse: il est une autre façon de raisonner qui consiste à dire : oui, l’Europe va être sauvée ! Et c’est la Chine qui la sauvera. Au détriment des Etats-Unis en crise et qui n’en sortiront pas de si tôt, cet empire hégémonique il y a peu, reste probablement dans le collimateur des chinois pour une dérouillée financière mais pacifique. Considérant le processus inéluctable qui s’observe, les doutes se dissipent.
Saurons-nous alors trouver des convergences avec la Chine, je veux dire avec sa pensée (et pas seulement selon l’exemple du cheval de Troie), en terme de rapport au Temps, à la Démocratie, et à la Prudence (humanité consciente d’elle-même et autocontrôlée)? Dans toute cette discussion est-ce qu’on peut dire seulement que les dirigeants chinois soient guidés par leur intérêt économique et leur recherche de reconnaissance par les occidentaux au plan commercial au sein de l’OMC ? Sans nier non plus les dissidents pourchassés par la police politique, les dirigeants communistes chinois ne sont-ils pas par ailleurs imprégnés et friands bien sûr d’Olympisme (et d’Expo universelle) comme on l’a vu, mais aussi des idées des Lumières, de la Révolution française et de la Commune de Paris ?! « Les Chinois sont très attachés aux Lumières et à la Révolution française, donc on ne comprend pas pourquoi vous vous en prenez à nous à propos des Tibétains! » C’est ce que m’avait dit une jeune chinoise en stage à Dol au moment du passage de la flamme olympique à Paris.
La question est alors de savoir comment faire coexister ces deux systèmes de pensée. Est-ce à partir d’Héraclite et de son idée de l’interdépendance des opposés si proche de la sagesse chinoise? Qui elle-même conçoit un monde où les contraires ne s’opposent plus mais se complètent. Un univers où, en somme, personne ne sort jamais du « Ciel » qui le contient…Que le Bien et le Mal, le corps et l’esprit, ces dualismes qui structurent nos façons d’être et de penser en Occident sont autant de faux problèmes…A ce propos, encore, écouter François Jullien ( 1, 2, 3, 4, 5 ). Ou bien est-ce à l’exemple de ce blog d’un chinois étudiant au « département of philosophy in the Chinese University of Hong Kong » parfaitement branché sur le meilleur de la philosophie occidentale? Et en passant je salue ici-même nos visiteurs chinois (une bonne centaine chaque mois à consulter radio-universfm.com! qui proviennent du Google chinois: baidu.com.
Donc ? la reconnaissance de l’autre ! Ainsi pour la pensée chinoise, il n’y a pas de mythes ni d’épopée comme dans la pensée grecque (pas d’équivalence à Homère, Ulysse ou au Cheval de Troie). « La sagesse en Chine a été comprise largement comme une disponibilité. On ne s’arrête pas dans une position, dit Confucius ».Donc pas de prise de position, ni thèse ni affirmation, ni pour ni contre l’une ou l’autre des hypothèses énoncées ci-avant par exemple. « Elle a pensé selon d’autres plis : la logique des processus, le monde comme dispositif, l’idéal de la régulation, etc…» dit François Jullien. Bref, savoir reconnaître nos ancrages en étant ouvert aux regards qui ne sont pas les nôtres.
D.D
Ps: Ecouter Jean-Paul Dollé, philosophe: «Conversation sur la Chine entre un philosophe et un architecte»