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« Le manifestant, personne de l’année ». N°508

Écrit par sur 14 décembre 2011

Entre deux rayons d’un magasin de bricolage, il m’interpelle « Bonjour Daniel . Tu te souviens de moi? »- « Oui, bien sûr. A l’école, ah! c’est loin. » L’on échange sur deux ou trois autres choses, et puis il se met à me parler de son travail.

« Agent de manutention en Intérim à cinquante-quatre ans. Depuis mon licenciement il y a dix ans. Après qu’ils aient coulé la boîte. Nous avons été cent quarante lourdés comme des mal-propres alors que la boîte faisait des bénéfices. Mais quand les gars de l’audit sont venus après le rachat de la société qui était à Saint Jacques-de-la-lande, l’on a senti que c’était baisé pour nous. L’un d’entre eux est descendu en avion, pas à Saint Jacques alors qu’il y a un aéroport, mais à Brest. Il a fallu dépêcher un taxi pour l’amener. Un autre est arrivé avec une très grosse moto, très chère. Forcément ils ont trouvé des trucs. Résultat après l’audit interne: plan social.

On a mené une grève difficile. Et puis un jour lors de l’occupation de la boîte les flics sont venus. On bloquait. Le directeur nous a poussé dehors au volant d’un camion dont il faisait crisser les pneus sur le bitume de la cour. Les flics étaient à l’extérieur de la boîte et nous avions nous le pare-choc de ce camion dans les reins pour nous chasser dehors comme des déchets alors que nous avions tous plus d’une vingtaine d’années d’ancienneté, et que la boîte marchait bien.

Après avec une indemnité de licenciement avec laquelle on ne va pas loin quand à plus de 45 ans, il faut rebondir. S’ajoute à ça , un handicap ma main. Quatre doigts en moins à la main gauche. C’est de naissance, j’ai toujours travaillé comme ça. Dès tout jeune, à 15 ans. J’ai voulu faire valoir cet handicap. A la visite médicale pour mon dossier COTOREP, quand j’ai montré ma main au médecin il a dit « mais c’est rien ça! » Là j’ai reçu un choc en moi monumental. Rien ne m’a fait plus mal dans ma vie que ce qu’il m’a dit là! »

Souffrance et révolte. Ah! rien ne serait pire que d’entendre à n’en plus finir dans cette campagne présidentielle, d’un candidat à l’autre, ces mêmes propos de gérant de magasin de bricolage qu’est devenu ce pays à l’heure du « Combien ça coûte ». Il y a quelque chose de bouché dans leur carburateur.

Même si en terme d’image, c’est soit-disant d’une grande banalité que de témoigner des réalités sociales et des luttes dans les entreprises, seul un candidat ouvrier connaissant le « mépris social » et les luttes de classes, qui n’aurait donc rien à faire là (selon les commentaires de la nouvelle gouvernance médiatique de l’oligarchie régnante), possède cet immense avantage de faire entendre (hors-cours de com’) les zones de résistance face à ceux qui occupent la scène publique. Qui ne peut donner que ce qu’elle a, perdue dans le désert des mots creux du monde clos politico-médiatique.

Face à ceux qui savent tout sur tout et qui nous conduisent là droit où on est conformément à la gestion de l’ordre tel qu’il est, qui leur soit opposé dans le discours non pas au sens vague un « témoignage » ni une « protestation » mais l’insoumission claire et évidente. Celle d’une parole vivante et créatrice. Même le « Times » vient de désigner « Le manifestant, personne de l’année »!

Alors s’il fallait dresser un portrait de celui qui, à l’occasion de cette campagne, en a le meilleur profil, sans doute est-ce celui-ci cité dans ce très bon papier du Nouvel Obs. Oui voilà, celui dont la presse dominante voit en lui un « déficit de notoriété », celui qu’elle n’appelle plus que l’« inconnu du grand public ».

Aux maires d’y pourvoir, et à divers égard, oui, rien ne serait pire que l’absence, dans cette campagne présidentielle, d’une parole qui fasse plus ou moins écho à ce qu’annonçait il y a un an le sociologue Alain Touraine: « un mot clé, le mot le plus mobilisateur qui soit dans le monde entier à l’heure actuelle qui est le mot: Dignité. Et le mot qui lui est opposé tout aussi mobilisateur partout dans le monde, qui est le mot: Humiliation. Je veux être respecté dans ma dignité d’être humain. Je ne veux pas être humilié, et cela dans l’ordre social, dans l’ordre politique, dans l’ordre culturel. Bien entendu pas en dehors des situations vécues, concrètes, personnellement, collectivement. »

D.D


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