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« Mettre en musique les villes ». N°623

Écrit par sur 19 mars 2014

Poursuivons le cycle Dollé. Il fustigeait l’inhabitable qui trop souvent est construit au plus grand mépris des habitants. Dans l’éditorial du n°7 (juin 1993) de Lumières de la ville, il résume sa démarche : « Nous explorons une autre voie : la rencontre d’un désir de l’autre et d’un lieu, le monde. Soit la ville comme lieu capital où le monde se fait société, civilisation, et l’amour expérience de vérité, ouverture au monde, connaissance de l’être en tant qu’être. »

Par ailleurs il exprimera sa pensée en forme de slogans politiques : « Faire ville, c’est s’insurger contre l’état des choses », « Il faut faire beau aujourd’hui pour ne pas avoir à faire la guerre demain », « Une ville n’est pas l’ensemble des parties, ni l’addition de fonctions. La ville c’est toujours un monde, le monde concentré dans un lieu », « Le plaisir qu’il y ait de l’autre, serait-ce cela l’essence de la civilisation urbaine ? », « Se loger n’est pas habiter. Le droit au logement ne peut se substituer à la jouissance de la ville ». Phrases à méditer.

En préface à son fascicule Métropolitique, Jean-Paul Dollé se penche sur la métamorphose de la ville classique en mégapole. Une mutation vers une nouvelle figure de la ville-monde.

« Pourquoi « métropolitique » ?

Pour signifier que penser l’époque du devenir ville du monde et de la ville-monde nous impose de faire un retour sur l’aube de notre histoire. En effet, c’est dans l’Athènes de Clisthène que, pour la première fois, des hommes se sont pensés et comportés en maîtres de leur destinée, en acteurs conscients et libres d’une vie commune. Il n’est pas indifférent que le commencement de ce que nous appelons Histoire -une certaine gestion du temps qui, à l’immémorial du cycle des saisons et au répétitif de la reproduction sexuée, substitue le mémorable et l’intempestif des actions humaines -s’inaugure dans un certain espace de l’habitat regroupé, dénommé ville. Métropolitique donc, pour renouer avec ce geste initial et mettre à nouveau en jeu le sort commun dans le politique -le domaine des affaires de la polis – même si les formes de ce que Françoise Choay désigne par « établissement spatial que nous continuons d’appeler ville  » se sont transformées au point que la polis s’est métamorphosée en métropolis.

Renouer, dis-je, car aujourd’hui le tissu social et urbain est déchiré, et la politique, par voie de conséquence, en bien fâcheuse posture. L’examen de la longue durée nous apprend cependant que, depuis l’invention de la ville-cité démocratique athénienne, les régressions ont été nombreuses. L’histoire des villes n’est pas linéaire, mais faite de bruit et de fureur, de périodes fastes ou de déclin. Leur existence et leur survie ne sont jamais assurées. Ce qu’un bon gouvernement a édifié, un mauvais peut le corrompre, et à la fin des fins, le faire mourir.

Dans son tableau intitulé Allégorie du Bon et du Mauvais Gouvernement et de leurs effets dans la ville et les campagnes, Ambrogio Lorenzetti, peintre siennois du XIVè siècle, nous donne à voir deux versions d’une ville, Sienne -ou plutôt le cadre d’une même ville, à l’intérieur duquel des éléments ont changé de telle façon que la ville semble la même, alors qu’elle est en réalité devenue tout autre. Selon que la ville, et la campagne qui la borde et la spécifie comme territoire indépendant, sont bien ou mal gouvernées -par les sept vertus ou par les sept péchés capitaux – les murs tiennent debout ou se lézardent, les chemins sont bien entretenus ou en friche, les gens se parlent ou se battent sur les places.

Nous sommes déjà entrés dans l’époque du devenir ville du monde, mais nous pensons encore avec les schémas de l’Etat-nation et de la démocratie à l’échelle d’un seul pays. Dès lors, l’espace public nécessaire à la délibération et à la libre décision des citoyens perd de sa visibilité, et la politique apparaît impuissante. Le contrat social en est fondamentalement remis en cause. « Le désert croît » énonçait Nietzsche, il y a plus de cent ans. Ce constat doit aujourd’hui être pris au pied de la lettre, et dans tous les sens du terme.

Serions-nous arrivés à la fin de l’histoire de la démocratie, la métamorphose de la ville classique en mégapole chaotique en signant l’arrêt? Pour évaluer la pertinence de cette question et penser le moment actuel, il faut procéder à une généalogie des formes urbaines, pour mieux cerner ce qui s’ouvre comme horizon de la nouvelle période historique: à savoir la déterritorialisation, le déplacement en masse des populations, et la disparition, l’effacement des peuples entiers.

Par une ironie de l’histoire, cette situation d’exil et d’étrangeté généralisée peut constituer une nouvelle figure de la ville monde -où n’habitent plus que des « étrangers » – comme lieu de déploiement et d’intégration des excentricités symboliques, et par là même inaugurer un nouvel âge de la politique: la métropolitique. « 

Jean-Paul Dollé- Métropolitique- Editions de la villette-octobre 2002.

Hum ! J’ouvre la parenthèse. Sans vouloir gâcher l’idée.

Tenez ! Prenez la ville.

Ce n’est pas seulement l’espace contenu à l’intérieur de ses limites: la ville, c’est ceux qui la désirent, c’est nous. Disait-il dans Métropolitique. Alors quelles figures prend-elle à l’heure où, cela n’échappe à personne, l’on parle de la montée en puissance des métropoles ?

En prenant en compte la typologie de l’espace, ses figures géométriques, l’esprit humain peut les appréhender, à condition qu’il accepte d’apprendre à les retrouver. Disait-il encore.

Cependant, dans son dernier ouvrage L’Inhabitable capital. Crise mondiale et expropriation (Lignes, 2010), Dollé inscrit cette sentence : « En effet, la ville n’est pas un spectacle qui se donne à voir. Elle n’est pas une image qui relève du visuel. Elle n’existe que sur fond de ce qui ne se donne pas à voir : le temps, l’histoire, la mémoire. »

Que l’on puisse dresser alors le portrait de la ville en musique à partir des données numériques de sa réalité physique, donc historique, est le défi que s’est lancé « Mettre en musique les villes ». Objectif ambitieux appelé: le projet Architectural SonarWorks.

Ecoutons son concepteur: « Ce projet a pour finalité de représenter – à travers une analyse morphologique et cartographique précise, une lecture et un mode opératoire convertissant des données numériques en sons, puis grâce à un système de diffusion audiophile de très haut de gamme – une lecture musicale de l’architecture des villes. »

Porté par l’artiste rennais Cédric Brandilly son concepteur, Romain (notre directeur technique) compositeur et ingénieur du son et Marc Henry qui développe un système de son audiophile, « Mettre en musique les villes » est programmé aux prochaines Tombées de la nuit à Rennes. Notre affection aux artistes.

La forme ville y est retranscrite musicalement: voilà pour une ville belle et harmonieuse. Extrait à écouter ici.

Sur ce, je ferme la parenthèse.

Page en lien avec les deux précédentes (1&2).

D.D


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