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Vinciane Despret, « Habiter en oiseau ». N°930

Écrit par sur 4 mars 2020

Les oiseaux, en chantant, créent des fils invisibles par lesquels ils se tiennent. « 

Vinciane Despret, « Habiter en oiseau. »

Allez ! Un peu d’épaisseur esthétique et affective à notre monde ! Que nous partageons avec les autres êtres vivants. Tenez ! Les chants d’oiseaux, c’est le moment. Les entendre en leur « territoire ». Dont ils ont usage. Sachant qu’ils « savent que chanter fait territoire et qu’un territoire fait chanter ».

Ben voyons ! Mais vu des oiseaux, qu’est-ce alors un « territoire » ? « Le territoire est « une place composée d’une part, d’un ou deux points d’attention – le nid et le poste de chant- et, d’autre part, d’une périphérie ». Le terme « périphérie » souligne une dimension cruciale des territoires : ils sont toujours adjacents. On ne trouvera pas, ou alors ce serait une exception, un territoire « au milieu de nulle part ». Ils sont toujours en coprésence d’autres territoires, ils sont toujours voisins. » écrit Vinciane Despret, philosophe et psychologue passionnée d’éthologie, dans son passionnant ouvrage Habiter en oiseau, très documenté sur le thème du territoire.

Après avoir mené une enquête scientifique et poétique fournie, à la croisée de la biologie, de l’ornithologie et de sa joie d’examiner les écrits des ornithologues, en étudiant ainsi les oiseaux, Vinciane Despret, adepte de l’écologie de l’attention, nous révèle à nous-mêmes.

A savoir que, nous les humains, l’on prête peu d’attention au fait que les territoires sont toujours adjacents. Et que nous vivons toutes espèces confondues, mammifères comme oiseaux, toujours en périphérie, là où l’on peut se donner à voir et à entendre.

Et à ce propos, dit-elle par ailleurs, l’intelligence sociale de oiseaux, c’est une « technologie du vivre ensemble ». Car chez les oiseaux, les territoires ce sont des inventions très sophistiquées, des territoires toujours très près les uns des autres. Parce que c’est une façon de se créer des voisins. Et qu’à partir d’un point central, l’on peut parader, bluffer, chanter, se montrer, faire son nid, élever ses petits, trouver sa nourriture, etc. Si bien que pour décrire ce contexte, Vinciane Despret reprend cette expression qui lui vient d’un ornithologue : la périphérie.

Celle-ci étant un lieu où l’on s’active, où l’on rencontre les autres, un lieu où il y a une ambiance. Beaucoup d’animaux ont besoin d’ambiance. Parce que, dit-elle, les animaux comme les hommes « ont besoin de sortir d’eux-mêmes ».

Même si à cette occasion chez les hommes, l’on se donne parfois des noms… d’oiseaux, chez ces derniers « l’agression comme modalité expressive s’apparente alors, comme le font les gestes du jeu que jouent les animaux, au « faire semblant ». »

Le territoire est matière à expression et matière à expression socialisée. Ou plus précisément, la socialité est mise au service de la territorialisation, elle entre dans son agencement, elle est détournée dans un nouvel usage. Le territoire serait donc bien, dès lors, un phénomène bien plus écologique que comportemental. »

Vinciane Despret, « Habiter en oiseau. »

Dans les ultimes phrases de son plaidoyer fort agrémenté de descriptions d’oiseaux compositeurs « d’accords magiques ou de célébrations de fin de jour », à ce territoire menacé comme jamais, Vinciane Despret – qui, par ailleurs, cosigne ceci– y associera un terme relatif à cette nouvelle ère : la « Phonocène » – l’époque de l’histoire de la Terre où les chants de nos cousins ailés disparaissent.

Faire un territoire, c’est créer des modes d’attention, c’est plus précisément instaurer de nouveaux régimes d’attention. (…) les oiseaux font attention les uns aux autres. Bref, s’arrêter, écouter, écouter encore: ici, maintenant, se passe et se crée quelque chose d’important.

C’est sans doute cela également que pourrait signifier le fait d’inscrire notre époque sous le signe du « Phonocène ». C’est ne pas oublier que si la terre gronde et grince, elle chante également. C’est ne pas oublier non plus que ces chants sont en train de disparaître, mais qu’ils disparaîtront d’autant plus si on n’y prête pas attention. Et que disparaîtront avec eux de multiples manières d’habiter la terre, des inventions de vie, des compositions, des partitions mélodiques, des appropriations délicates, des manières d’être et des importances. Tout ce qui fait des territoires et tout ce que font des territoires animés, rythmés, vécus, aimés. Habités. Vivre notre époque en la nommant « Phonocène », c’est apprendre à prêter attention au silence qu’un chant de merle peut faire exister, c’est vivre dans des territoires chantés, mais c’est également ne pas oublier que le silence pourrait s’imposer. Et que ce que nous risquons bien de perdre également, faute d’attention, ce sera le courage chanté des oiseaux.

Vinciane Despret, « Habiter en oiseau. »

D.D

Ce qui a été dit et écrit ici-même autour de lattention, de lhabiter et de léthologie. Ainsi qu’autour du versant animal & végétal.


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