Quand les fourbes s’en réclament. N°659
Écrit par D.D sur 26 novembre 2014
Carte postale ci-contre : Fougères après la grève de 1906. On y lit : « La rentrée des petits Fougerais. On attend le tramway qui amène les enfants de Rennes. A gauche du drapeau, le citoyen Jaurès ; à droite, le citoyen Bénezreh. » Et on y décèle la justice et l’égalité sociale comme credo.
Jean Jaurès est mort assassiné, abattu à bout portant par deux coups de feu tirés par l’ultra-nationaliste Villain, le 31 juillet 1914 au Café du Croissant à Paris. Ce mort que chanta Jacques Brel fut le premier de la boucherie – le capital avait besoin de cette grande saignée- de la Première guerre mondiale dont on célèbre le centenaire.
Ce qui est troublant chez cet homme est que sa vision de la marche souhaitable du monde – « le courage, c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel » ( Discours à la jeunesse, Albi, 30 juillet 1903, à écouter ci-dessous)- peut toujours exercer, un siècle après, sa dimension prophétique sur les enjeux planétaires actuels.
Ceux de la France en particulier. Dont les élites s’échinent à singer des modèles d’ailleurs. Aveugles qu’ils sont à un héritage intellectuel républicain et humaniste nourri aux Lumières. L’homme politique Jaurès percevait déjà les nuisances à venir dans cette façon qu’ont ces élites d’être inféodées au capital financier.
Pertinentes encore ses réflexions à propos de la laïcité -dans une société pluriculturelle- et de l’école, de la question sociale, du rapport au pouvoir, du racisme et de l’antisémitisme (photo ci-contre, Jaurès au procès Dreyfus à Rennes), de la nation, de la guerre et du pacifisme, du rapport au territoire –il est non centralisateur.
Comme le sont celles du philosophe Jaurès d’un universalisme républicain « exportable » débarrassé de son européocentrisme ; d’une souveraineté nationale qui tout en n’étant pas exclusive permette de défendre la démocratie face à l’ultra-libéralisme.
Car déjà, il pressent la mondialisation. Il dit du paysan français : « C’est peut-être de la quantité de blé ensemencée par un fermier de l’Ouest américain que dépendra demain, sur le marché de la ville voisine, le prix de son blé, le prix de son travail, sa liberté peut-être et sa propriété ».
Orateur de génie, journaliste, fondateur de L’Humanité, qualifié d’humaniste par ses références constantes à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et à la Révolution française dont il fut l’historien, les nationalistes le haïssaient.
Suffit de lire ici ces mots qui attisaient la haine sous la plume de Louis Coudurier dans le journal La Dépêche de Brest.
Alors que dans cette ville comme ailleurs en Bretagne, la mobilisation contre la guerre se fait justement dans des lieux où les principales activités économiques sont intrinsèquement tournées vers l’industrie militaire. D’ailleurs, lorsque le maire de Brest ouvre le congrès socialiste en 1913, il éprouve le besoin de préciser l’environnement particulier de la ville:
« Je souhaite que cette ville de Brest qui est au milieu des instruments de destruction et de carnage, des instruments de meurtre, voie la première sortir une résolution qui, mise en pratique, empêchera les guerres entre les nations européennes. »
Jaurès fut donc assassiné trois jours avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale, «pour avoir trahi son pays», comme le dit alors son meurtrier. C’est-à-dire pour avoir lutté jusqu’au bout contre la barbarie. «Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage» (Jaurès).
Voyez on s’en voudrait de laisser venir cette fin d’année du centenaire de son assassinat sans en parler ici-même. D’autant quand les fourbes s’en réclament.
Mais revenons à cette carte postale. Par ces quelques lignes d’un texte de Jean Guéhenno, qui, adolescent, avait assisté à la visite de Jaurès à Fougères, où se déroulait cette grève ouvrière particulièrement dure de 1906 : ‘‘Et puis, sa voix se fit plus grave. Il évoqua tous les malheurs que subissaient les hommes, les terres ensanglantées, la guerre qui, comme une nuée, montait vers l’horizon et roulait vers nous, un univers furieux que, seuls, pouvaient exorciser notre bon sens et notre volonté. Alors seulement, vers la fin de son discours, il nous nomma de ce nom plus chargé de tendresse : « camarades » et, pour la première fois, j’eus le pressentiment de notre vrai destin.’’ »
D.D
« Discours à la jeunesse », Albi, 30 juillet 1903, à écouter ici: