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Médiator. N°461.

Écrit par sur 20 janvier 2011

Brest. La ville est en chantier (et c’est un euphémisme! dirait notre ami Jean Lecorvoisier de Radio Neptune que je salue.) en ce moment à cause des travaux du Tramway. La rue de Siam et une partie de la rue Jean Jaurès (principale artère commerçante) sont en pleine « restructuration ». Bon! travaux ou pas, à Brest il faut le savoir si vous êtes amateur de livres, rue de Siam il existe la magnifique Librairie Dialogues. Sans aucun doute une des plus belles de France. Du choix et de quoi s’asseoir pour bouquiner (des divans en haut et une zone salon de thé en bas). Je n’ai jamais raté une seule visite chez Dialogues à l’occasion de mes passages à Brest. Un endroit formidable au coeur de la ville.

A cela s’ajoute depuis juin 2010 l’une des plus belles aventures pour un libraire pas ordinaire. Primo, parce que la librairie développe sa propre maison d’édition sous deux formats : numérique et papier, les Editions-dialogues.fr www.editions-dialogues.fr bâties autour d’un concept inédit breveté qui permet d’associer la vente du livre papier à sa version numérique afin de « faire en sorte que la librairie en général ne soit pas écartée de l’avènement du numérique dans le monde de l’édition »; puis secondo, la nouvelle maison d’édition en question vient de frapper un grand coup. L’éditeur brestois vient d’ébranler l’Etat ni plus ni moins. Avec plus de 2 000 exemplaires commandés depuis le 1er janvier (qui s’ajoutent aux 9 000 déjà sortis).

C’est en effet avec son livre Mediator, de la médecin pneumologue Irène Frachon au CHU de Brest, qu’a éclaté le scandale de ce médicament utilisé comme coupe-faim. Il n’en reste pas moins que le courage de la vérité illustré par l’édition de ce journal d’une enquête médicale a connu un parcours semé d’embûches.

Résultat des courses : c’est devenu une affaire d’Etat puisque la commission d’autorisation de mise sur le marché (AMM) est mise en cause directement. Cette commission a la lourde tâche de proposer qu’un médicament soit autorisé, puis, en cas d’alerte, qu’il soit retiré du marché.

Le Mediator selon l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des produits de santé aurait fait, en 33 ans, 500 morts. Aujourd’hui l’on parle de 500 à 2000 personnes. Et alors que suspendu de l’autorisation de mise sur le marché le 25 novembre 2009 par l’Afssaps, il restera encore commercialisé deux ans. Le chiffre d’affaires du Mediator 150 mg pour Servier était de l’ordre de 3,6 millions d’euros par an.

Pour l’Igas, cet avis de l’AMM de 2007 est «incompréhensible» et «inexplicable». Lors de cette Commission d’AMM, «quatre des experts présents avaient un lien d’intérêt avec les laboratoires Servier, note l’Igas. L’un d’entre eux en particulier, régulièrement absent aux séances de la commission, était précisément présent ce jour là. Il est le seul auquel le président demandera de quitter la salle, les trois autres pourtant identifiés comme tels, assisteront sans délibérer à cette séance» A lire le rapport de l’Igas sur le Mediator.

La commission d’AMM est pourtant censée donner un avis impartial. Mediapart a donc épluché les activités déclarées de chacun des membres de cette commission, qui a été en partie renouvelée en 2010. Il en résulte qu’une immense majorité de ses membres a des liens financiers directs avec les laboratoires dont ils sont censés juger les médicaments.

Elle est composée de trois membres de droit (le directeur général de la santé, le directeur général de l’Afssaps, le directeur de l’Inserm), de cinq membres représentants des commissions compétentes en matière de médicament (commission nationale de la pharmacopée, de la transparence, de la pharmacovigilance, des stupéfiants, et de la publicité des recommandations sur le bon usage des médicaments), et de 30 membres titulaires nommés par le ministre de la santé pour une durée de trois ans.

Depuis 1993, chacun d’entre eux est tenu de faire une déclaration d’intérêts au moment de son entrée en fonction (puis de la renouveler annuellement), dans le but de gérer les conflits d’intérêts qui «naissent d’une situation où l’intérêt personnel d’un expert, d’ordre financier, professionnel ou familial, est objectivement susceptible d’influencer l’exercice impartial de sa mission d’expertise».

Qu’y apprend-on? Que seuls deux des 30 membres de la commission déclarent n’avoir pas du tout reçu d’argent des laboratoires au cours des cinq dernières années! Et que sur les 30 membres titulaires, 14 ont un lien avec Sanofi-Aventis.

Aujourd’hui les autorités parle de « désastre sanitaire ». Dans un entretien accordé au Monde (20-11), Jacques Servier, 88 ans, se demande « si cette affaire est une fabrication » avançant même une volonté « d’embêter le gouvernement ». Pour rappel, les laboratoires Servier, (source Cylex, annuaire des entreprises) sont basés 22, rue Garnier, à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de Seine). Le groupe Servier est le deuxième laboratoire pharmaceutique français, derrière Sanofi, avec 3,40 milliards d’euros de chiffre d’affaires, 20 000 salariés en France et dans le monde. Son fondateur, Jacques Servier, a reçu à l’Élysée, des mains du président de la République, le 7 juillet 2009, la Grand-Croix de la Légion d’honneur, la plus haute distinction de cet ordre.

Une autre enquête sur notre système de santé kidnappé par les lobby pharmaceutiques est un documentaire télé : « Les Médicamenteurs ». Je vous propose d’entendre sa réalisatrice Stéphane Horel : « Ce que Servier fait pour s’assurer des marchés, tous les laboratoires le font ».

Michel Foucault, à travers le concept de biopolitique, nous avait annoncé la couleur depuis les années soixante-dix ce qui, aujourd’hui, est devenu une évidence : la « vie » et le « vivant » sont les enjeux des stratégies économiques. Et les plus scandaleuses qui soit. Cela constitue une nouveauté radicale dans l’histoire de l’humanité. « L’homme pendant des millénaires est resté ce qu’il était pour Aristote : un animal vivant et, de plus, capable d’une existence politique ; l’homme moderne est un animal dans la politique duquel sa vie d’être vivant est en question. » (Foucault, La volonté de savoir). Il suffit de voir ce qui avance. Le brevetage du génome et le développement des machines intelligentes, les biotechnologies et la mise au travail des forces de la vie, quelles mines, quels gisements, quels minerais pour le capitalisme en piste pour une transformation du corps vivant : thérapie génique, clonage, modification génétique des organismes… L’argent, les médias, les politiques et les chercheurs se mêlent dans une course de plus en plus rapide ; les laboratoires sont toujours ouverts à un extérieur qui lui apporte des soutiens financiers et politiques.

Notre seul recours, le devoir de parole. Bravo, donc, au courageux libraire-éditeur brestois ! Qui nous incite à réfléchir sur l’état de la démocratie. Ou bien faudrait-il avoir la tête lourdement tenue dans le sable pour penser que la démocratie se porte bien en France.

D.D


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