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« La peau des choses. » N°704

Écrit par sur 7 octobre 2015

chemiseAh ! Gageons que cette histoire plutôt rigolote, sans gnon ni égratignure, sans le goudron et les plumes, de chemise à col blanc mise en charpie dans une simple bousculade aurait inspiré, je pense, François Dagognet pour qui « on ne se préoccupe pas assez de la peau des choses ». 

Oui, je parle bien ici de ces tireurs de chemises, du moins quel outrage ! de « l’œuvre de voyous » qui devra être punie par des « sanctions lourdes » comme le dit Valls qui tente des loopings mais perd une aile, muet comme une carpe contre la violence sociale de 2 900 suppressions d’emploi, mais propos forts en comparaison à ses réactions lors de la mort de Rémi Fraysse. Oui, je parle bien aussi ici de l’impact social des 5 000 postes supplémentaires qui seraient supprimés après 2017 tel que l’affirment le Canard enchaîné et Reuters, venant s’ajouter aux 5 500 personnes qui ont quitté la compagnie en trois ans, les salaires gelés et des jours de congés supprimés. Oui, je parle bien d’un PDG qui s’augmente de 70 % et provisionne 150 millions d’euros de retraite chapeau, et qui est en train de couler le fleuron de notre flotte aérienne nationale, et qui cite son homologue de Qatar Airways qui se fait fort d’envoyer les grévistes en prison, et qui s’interroge même sur l’idée de faire travailler les enfants, car « qu’est-ce qu’un enfant ? » se demande-t-il tout haut, devant des instances du Medef.

Mais revenons à notre philosophe et médecin qui vient de décéder. Il était né le 24 avril 1924. Sur le plan philosophique, il critiquait la « profondeur », et portait haut la question de la « peau » des choses. C’est, dit François Dagognet, l’ampleur de la tradition spiritualiste qui nous fait préférer le profond à la surface, le pur à l’impur, le lumineux à l’abject, l’essence au résidu.

Chez lui sa réflexion était à contre-courant des sentiers battus. Dagognet pensait l’inverse : c’est en travaillant sur le corps, sur l’objet, et notamment sur l’extérieur, sur l’apparence, la peau, que se révèle le monde. La « peau » importe plus pour comprendre les êtres du monde, que n’importe quel substantialisme. Elle dit leur sens. La philosophie à cet égard est leçon de choses

Saisir le réel par sa peau. Comme l’explique ce philosophe de la médecine dans La Peau découverte (Les Empêcheurs de penser en rond, 1993), la principale difficulté de cet organe que constitue la peau, est d’exercer son rôle d’alerte de l’organisme, d’intermédiaire entre l’intérieur et l’extérieur, sans se trouver menacé par les attaques du milieu : «Comment permettre à la peau d’exercer son rôle préhensif ou d’avant-garde, sans qu’elle-même soit menacée ?» 

Dans ce même ouvrage, l’épistémologue François Dagognet fournit les indications suivantes : chez un individu moyen, « la peau s’étendrait sur environ 2m2 ; elle pèserait trois kilos (…). Un centimètre carré contiendrait, grosso modo, 3 vaisseaux sanguins, 10 poils, 12 nerfs, 15 glandes sébacées, 100 sudoripares, 3 millions de cellules ». Toute cette peau peut en dire beaucoup à qui sait voir.

chemiseIl valorisait donc la surface des choses. Pareil pour le paysage : « Une pelle mécanique ne dévaste que si son conducteur le désire. Les grands travaux ne nivellent que quand on l’a décidé. Une technique –une variété de blé, le béton armé ou un taux de rendement- n’est inventée ou préférée qu’en fonction de buts : elle est toujours l’expression d’un vouloir (Castoriadis). » (Mort du paysage ?: Philosophie et esthétique du paysage). Le paysage (lire chronique) est un révélateur, comme la peau. Et les objets.

Il se consacrait ainsi à la réhabilitation de la matière. Le philosophe se fait alors « brocanteur » ou « chiffonnier ». L’objet, ce qui est jeté devant nous (lire chronique), qui trouve son sens dans son utilité. Il faut aller vers un nouveau fonctionnalisme : l’utilité fait sens.

Soit sur la manière à arracher du sens aux détails matériels les plus ténus, voir comment des objets domestiques jouent un rôle crucial, ou les matériaux, sur la manière de capter la beauté complexe des paysages, dans des images statiques et en mouvement. Lire ce bel hommage rendu à cet homme.

Alors de quoi cette « peau des choses », chemise blanche déchirée et peau nue, dont l’image a été diffusée partout dans le monde, est-elle tant le révélateur ?

Cela au même titre que cet autre motif archi-dérisoire –en comparaison des coûts et des risques exorbitants de ce tunnel, ainsi que des condamnations de manifestants à de longues années de prison ferme- qui vaut pour le poète Erri de Luca d’être inculpé pour avoir employé le mot « saboter » ?

Pour le comprendre, j’avance une hypothèse. Il va falloir commencer à apprendre ce que signifie le projet de partenariat transatlantique qui a reçu l’acronyme : TAFTA. Et de prendre en compte le fait que tout cela « respire ensemble » (formule de Castoriadis), autrement dit souffle dans la même direction.

Qui ignore encore sinon tout le monde ou presque, qu’il ne s’agit pas seulement d’une libéralisation totale du commerce, englobant tout – services publics ou d’intérêt général à l’abri de la spéculation- mais qu’il s’agit réellement d’une mainmise totale des entreprises privées -américaines ou européennes- sur l’ensemble de notre vie privée et publique ? 

Ce qui est en train d’être mis en place est la soumission des Etats et des peuples aux intérêts exclusifs des multinationales. La souveraineté populaire ne vaudra rien ! Rien ne pourra freiner les appétits des groupes privés qui s’étendront à la totalité de la vie. Soit une nouvelle forme de totalitarisme. Pour s’en convaincre, lire ici « Le TAFTA et sa logique totalitaire », par Corine Pelluchon.

Voilà, méditons la leçon de choses.

Ces deux événements si minimes dans leur gravité, l’incrimination d’Erri de Luca et la sacralisation d’une chemise à col blanc avec mise à nu d’une peau, annoncent ce qui est «négocié en secret» : le TAFTA ne supportera pas le moindre grain de sable ! M. Valls y veillera ! Tant qu’il lui restera chemise, slip et pantalon.

D.D


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