« Je suis toujours ce que je vais devenir. » N°761

Écrit par D.D sur 16 novembre 2016

Eh oui, sur notre antenne la poésie ce n’est pas seulement celle du printemps mais de toute l’année. De toute l’année et de tous les jours. Et même de la même heure, à 11h, pour une diffusion de lectures de poètes. Mots étranges, phrases bizarres, voix singulières, certaines venant d’ailleurs… et ça ça nous plaît.

De la même façon pour nos contributions, collaborations, participations, ou coopérations à la diffusion de la poésie sous forme de CDs ou de films vidéo, ça nous plaît. Pareil pour les entretiens que nous avons menés avec les poètes. La poésie, d’en élargir l’audience (plusieurs milliers), d’en élargir son espace, d’en apporter une pierre à l’édifice autre que la simple activité champêtre, ça nous plaît.

C’est bien pourquoi sont mises en ligne une nouvelle fois les lectures enregistrées par nous-mêmes, pas chopées à la volée, lors des dernières Polyphonies (ici & là), la radio étant fidèle à ce rendez-vous.

Rien ici n’électrisera plus l’actualité, pas de soucis à se faire. Bien loin de ce dont nos oreilles sont rebattues. Alors bien sûr, il y a ceux j’imagine qui ne jugent la poésie que par l’écriture. Bon, en radio c’est par la parole qu’elle passe. Comme le disait le poète Georges Perros « C’est comme la poésie, ça part d' »Au clair de la lune » et ça va jusqu’au « Coup de dés » de Mallarmé. Il y a de la marge entre les deux. La poésie est entre ces deux choses-là ».

Eh bien, considérons qu’entre la poésie mitonnée dans le papier et la poésie martelée du bout des lèvres ou d’une faconde jubilatoire, il y a une marge. Parions sur la jointure, la coexistence bienveillante. Suffit que l’auditeur comme le lecteur soit sensible à l’accueil de l’auteur.

Reste la question : « Et la poésie, c’est quoi? »

Dans un ouvrage sorti aux éditions Dialogues de Brest, qui porte ce titre formidable « Je suis toujours ce que je vais devenir », Georges Perros (1923/1978) comme un phare y répond. Il s’agit de la retranscription d’un entretien réalisé en mai 1973 à Douarnenez où il a posé son sac, dans « la pièce sans confort et secrète où il lit, dessine, écrit. Sa piaule .»

« La poésie n’est pas faite pour se connaître, elle est faite pour se reconnaître. Elle est beaucoup plus dure. La poésie, pour la plupart des gens, est quelque chose d’assez mou, c’est ce qu’ils prouvent dans leurs textes, d’un peu mollasson, ou d’un peu lyrico-métaphysique; c’est l’obsession de la métaphore. Mais la poésie n’admet pas de réplique et n’admet pas de commentaire. C’est une espèce de netteté absolue, équivalant à un site ou à une fleur, quelque chose d’aussi absolu, qui se détache totalement du matériau que l’auteur a mis en pâte, qui se décroche, qui se décolle et qui s’en va. Ca devient comme un mobile. Alors, c’est un beau poème. Il y en a très peu. Puis c’est crevant. Je ne crois pas qu’un poète puisse en faire beaucoup dans sa vie. Seulement, pour qu’il en fasse, il faut qu’il soit tout le temps dans un état d’impatience avec son langage, de bagarre. C’est une guerre. Il y a toujours la guerre, ça ne va jamais bien. Et avec tous ces mots dans l’usine, il y a toujours une mutinerie quelque part. La poésie ça vient de là, c’est de la mutinerie. »

Mais revenons à ce titre. Qui amène à penser que quelqu’un au moins parle de notre futur. Ainsi à la question « Georges Perros, qui êtes-vous? « , il répond de façon gaiement assumée: » Je suis toujours ce que je vais devenir… Je ne sais pas ce que je suis. Demain je saurai, demain je saurai ce que je suis aujourd’hui. J’ai toujours l’esprit d’escalier. Vivre dans le présent, c’est une possibilité: c’est pour ça que socialement je suis complètement nul. Je ne peux pas me situer quelque part. »

Amers regrets qu’on ne puisse pas diffuser cet entretien en radio. La lecture tient la rampe. Mais la voix manque.

D.D

Ce qui a été écrit et dit ici-même autour de la poésie.