Gustave Courbet, « Vue du Lac Léman ». N°791
Écrit par D.D sur 14 juin 2017
Ce 10 juin, c’était l’anniversaire du peintre et sculpteur Gustave Courbet (1819-1877). Belle occasion pour évoquer cette histoire à peine croyable, une bien belle histoire, de l’une de ses dernières toiles Vue du Lac Léman, retrouvée dans le musée municipal d’art et d’histoire de Granville. Après plus de 70 ans dans l’ombre de ses caves.
Une œuvre exceptionnelle, acquise en 1892, qui reposait oubliée dans les réserves depuis la Deuxième Guerre mondiale, au motif que ce Courbet, l’un des géants de la peinture du XIXe siècle, le père du réalisme pictural, ne correspondait pas à la thématique du musée choisie à la Libération, consacrée au Vieux Granville façon ethnographique. Du coup le tableau n’a refait surface qu’en raison d’une mise en sécurité récente de l’établissement.
Photo: Courbet au Café du centre de la Tour-de-Peilz. Crédit : archives communales de la Tour-de-Peilz
D’aucuns pourraient penser à quelque autre raison « municipale » moins avouable. Car rappelons que c’est au bord du Lac Léman, que Gustave Courbet – l’un des protagonistes les plus célèbres de La Commune de Paris– a passé ses dernières années réfugié en Suisse, terre d’asile pour de nombreux Communards. En sa qualité de ministre des Beaux-Arts du gouvernement communaliste, il avait dû présider à la démolition de la Colonne Vendôme, «symbole de la tyrannie». La cour pénale de la Troisième République l’avait condamné à reconstruire à ses frais le monument détruit. On saisit tous ses biens et le peintre dépouillé, pour éviter la contrainte par corps, s’enfuit en Suisse. Il passe clandestinement la frontière le 22 juillet 1873, et vient se fixer à la Tour-de-Peilz, petite cité voisine de Vevey, et c’est là qu’il meurt à la Saint-Sylvestre 1877.
Installé dans la Villa Bon-Port face au Lac Leman et les Alpes, l’eau et la roche peuvent continuer à inspirer sa peinture. Gustave Courbet est bien reçu, il participe aux fêtes, aux réceptions, fait du Café du centre (photo ci-dessus) son repère favori. Il est accueilli dans des cercles démocratiques et radicaux, fréquente les autres proscrits communards, participe à des remises de prix pour écoliers, à des fêtes de gymnastique et de tir. Gourmand d’écrevisses, se baignant nu dans le Léman, etc., le tout ayant été observé et noté scrupuleusement dans des « documents policiers à la poursuite de Courbet pendant les quatre dernières années de sa vie » (lire ici).
Dans le livre de Lucien Descaves auteur de Philemon Vieux de la Vieille, Colomès, le Communard, évoque en ces termes une visite à la « petite villa à un étage dont les fenêtres regardaient le lac » où vécut Courbet : « L’agrément de la maison…, ne dis pas non, c’était le jardin, qui s’étendait en terrasse jusqu’aux blocs de rochers surplombant le lac. Des vagues venaient les battre… on se serait cru au fond d’une crique, dans un petit port de mer. Courbet s’asseyait là par tous les temps, grâce à l’abri qu’il s’était fait maçonner et d’où il contemplait, en fumant sa pipe, le ciel, l’eau, les montagnes, la rive suisse jusqu’à Ouchy, le château de Chillon, la vallée du Rhône, les Alpes valaisannes… Mais il regardait surtout du côté de St-Gingolph, où est la frontière de France… »
Comme en témoigne, j’ajouterai, l’œuvre « granvillaise » qui réapparaît ainsi de pleine pâte et de pleine lumière, signée de son nom et datée de 1876, l’année précédant sa mort. Restée inconnue de tous les biographes de l’artiste, elle s’est vue authentifiée en mars dernier, « Vue du lac Léman » sera exposée au Mamra (Musée d’art et d’histoire de Granville) à partir du mardi 11 juillet prochain. Ceci dans l’exposition si bien nommée « Gustave Courbet, Vue du Lac Léman. De l’ombre à la lumière…« .
Ce qui a été dit et écrit ici-même autour de La Commune.