Des étoiles sous les pommiers. N°480.
Écrit par D.D sur 2 juin 2011
A Jazz sous les pommiers hier soir, Aldo Romano, ce chat à l’incroyable lenteur et aux jaillissements de baguettes, avait carte blanche pour revisiter l’essentiel de sa longue carrière de derrière les étoiles comme l’on pourrait dire de derrière les fagots du côté de Coutances, pays de pommiers.
Pour ce faire il avait convoqué toute une bande de lurons éblouissants pour réinterprêter ce que l’on connaît de lui à partir d’une poignée de consignes vagues, toujours dans l’éblouissement du jazz. Bien sûr la soirée fut sublissime. Transfigurée. Et franchement ça fait du bien à la tête, ça l’allège d’un poids, mais d’un poids…Les morceaux successifs se dégustent d’un trait dans un festin haletant de plaisir. Nappe d’adoration. Rare en ces temps de saucisses indigestes! Et les saucisses dégueu c’est une anecdote qui signifie beaucoup.
Dans ce paquet de talents une découverte: une jeune femme à saxo d’argent. Hâte de revoir ce saxo de si-tôt. Elle se nomme Géraldine Laurent, c’est une jeune louve qui a du jus et attention! qui va perpétuer l’esprit et la capacité d’improviser sur le thème du souffle. Son coup de poignet pour ajuster le bec de métal de son saxo en dit long sur sa détermination à s’exprimer par le souffle. Elle ne lâche pas l’instrument. Essayons de suivre.
Et le moment culminant fut le boeuf qui parsèmera d’étoiles un public déchaîné. Quelle fraîcheur! et quelle chaleur! Pour preuve, voir Lieux-dits.
Et parmi ces lurons, Henri Texier, la figure enjouée. Pour ce très grand qu’on adore ici, sans la découverte de l’Art nègre, que serait devenue la création chez les Occidentaux? «Ce peuple a envoyé un message d’une profondeur inouïe», explique-t-il dans un interview. «Il a suffi que je me penche sur la question de savoir d’où vient le jazz, pour en arriver à l’attache aux musique africaines et afro-américaines. Je tiens à évoquer la mémoire de ces grands musiciens, y compris les Afro-Cubains, Brésiliens, Caribéens. Tous ont inspiré une passion vitale. Il me paraît essentiel de le faire en un temps où, hélas, certains font rimer négritude avec turpitude». Il poursuit: «Je suis traversé par des visions, et je les transpose en chantant dans un premier jet, au piano ou à la contrebasse. Puis j’applique un ordre en les mettant en perspective. Les motifs? Je raconte ce qui me touche. Ainsi au moment de la gestation de l’album, la marée noire au Mexique m’a choqué. C’est devenu un chapitre du disque. Songez que dans le Delta du Niger, une marée noire identique se déverse en permanence due aux fuites de l’exploitation pétrolière! De quoi réagir, non?»
On savait que les artistes les plus proches de leur temps sont les musiciens de jazz. Texier confirme et complète l’affirmation «autour de moi je sens vibrer la terre entière. Composer un manifeste contre la négation des Noirs, c’est également se dresser contre les expulsions des Sans-Papiers. C’est refuser toute négation des apports africains dans notre univers quotidien.» Texier est natif des Batignolles et n’a pas oublié les cultures de son enfance, quand les Maghrébins de l’avenue de Clichy le rapprochaient de l’Afrique. La pauvreté, Texier la croisait tous les jours. «A l’époque déjà, parler de négritude était subversif …» Aujourd’hui, il se révolte : «Le gouvernement actuel de ce pays est dangereux. Les idées de profit illimité sont destructrices. La triste preuve? Les gens ne peuvent même plus subvenir aux besoins de tous les jours. Pourtant, ils triment du matin au soir. La situation me fait hurler. Je suis du côté de la vie, pas de la mort.»
Voilà et ici sur Radio Univers nous sommes fiers d’offrir par brassées sur les ondes la musique qui porte cet esprit-ci, celui des gens fondamentalement sérieux.
D.D