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Assis sur un bidon vide. N°549

Écrit par sur 3 octobre 2012

A titre de rappel, avant de bien aborder la suite. Pour bien mesurer la mutation formidable qui nous fait marcher sur la tête, tous projetés dans l’avenir à une vitesse renversante, ou perdus à poil dans un désert assis sur un bidon vide, je me suis amusé à ressortir ce vieil article d’il y a vingt ans. Rédigé par un philosophe considéré alors et toujours comme clairvoyant. Ainsi parlait Paul Virilio du futur.

« Légende du XXIème siècle.

Ce siècle est si proche, finalement, que l’on peut, en prolongeant certaines tendances technologiques, en deviner sinon l’aspect, du moins l’orientation générale dans le domaine des supports de savoir.
Après le remplacement rapide de la machine à écrire électrique par l’ordinateur et le traitement de texte, la perspective est dégagée : le prochain siècle sera celui de la lecture assistée par ordinateur, voire de l’utilisation des techniques de la télé-présence dans la consultation à distance des documents des bibliothèques.
Quant à l’image, elle se glissera, par le biais de la photographie à enregistrement électromagnétique sur disquette, dans le circuit des télécommunications, au point que l’actuelle différence de nature entre la photo, le cinéma et la vidéo s’estompera totalement, le cliché photographique n’apparaissant plus que comme un simple « arrêt sur image ».
Marqué par la révolution des transmissions qui a succédé à celle des transports, le XX ème siècle aura largement contribué à dissiper la matérialité des supports de la connaissance, et ceci, dans les domaines de l’image et de l’écrit, avec le déclin des techniques purement « mécaniques » et l’essor des technologies « électromagnétiques », l’influence prépondérante de l’informatique, sans parler de l’imagerie « numérique », ou, encore, des récents progrès de la représentation « analogique », telle la vidéo de haute définition.
Mais un autre événement moins analysé mérite attention, dans cette soudaine perte de densité des supports de l’information : c’est celui de la miniaturisation des circuits et des composants de l’objet technique.
En effet, alors que l’histoire des instruments nous avait accoutumés à l’importance, à la fois volumétrique et géographique, de la machinerie industrielle, avec les voies ferrées, les câbles transatlantiques, les lignes téléphoniques ou les systèmes aéroportuaires et autoroutiers, nous assistons désormais à un processus inverse : le réductionnisme technologique de l’ère post-industrielle atteint progressivement toutes les disciplines de la communication du savoir, les trains d’ondes et les faisceaux hertziens accaparant le devant de la scène de l’information.
La loi de proximité purement « mécanique » qui avait jusqu’alors servi à aménager l’espace réel, puis à contrôler l’environnement des sociétés, cède brusquement la place à une loi de proximité « électromagnétique », en temps réel, dont il reste tout à découvrir.
Alors qu’aujourd’hui, transmettre une impulsion vaut mieux que de transporter une feuille de papier (le téléfax) et qu’hier, transporter un courrier valait déjà infiniment mieux que de déplacer un messager, se pose maintenant pour nous la question cruciale de la localisation de cette impulsion.
Au contrôle de l’environnement « géophysique » permis, entre autres, par la révolution du mode de déplacement physique et de l’automobilité domestique, la révolution des moyens de transmission instantanée ajoute le contrôle de l’environnement « microphysique », grâce aux capacités interactives de systèmes de télécommunication audiovisuels qui tendent tous à s’ajuster au corps de l’individu équipé de prothèses médiatiques : téléphone modulaire, Walkman, ordinateur ou télévision portables, sans omettre le gant ou le costume de données, mis au point par les tenants d’un espace devenu virtuel (cyberspace) et de cette téléaction qui vient aujourd’hui compléter la télé-audition et la télévision.
Tout cela, grâce à l’innovation de micro-machines, à la miniaturisation d’émetteurs et de récepteurs de plus en plus performants, au point que nous assistons même aux prémisses d’une troisième mutation des moyens de communication : la révolution des transplantations, avec, non seulement la greffe des reins, du cœur ou des poumons, mais l’implant de stimulateurs plus efficaces que le pacemaker, en attendant demain, la greffe de « micro-moteurs » capables non plus de suppléer au fonctionnement défectueux de tel ou tel organe vital, mais d’améliorer cette fois, pour une personne en parfaite santé, les capacités physiologiques de tel ou tel système organique, grâce au concours de capteurs instantanément interrogeables à distance : Ecoutons Marvin Minsky, l’initiateur des sciences cognitives : « J’ai construit mon premier ordinateur à réseau neuronal en 1951. Aujourd’hui, on pourrait construire cette machine dans un espace littéralement trop petit pour être visible à l’œil nu. Mais, en 2035, l’équivalent électronique du cerveau lui-même, grâce à la nano-technologie, sera peut-être plus petit que le bout de votre doigt. Cela signifie que vous pourrez avoir, à l’intérieur de votre crâne, tout l’espace que vous voudrez pour y implanter des systèmes et des mémoires additionnels. Alors, petit à petit, vous pourrez apprendre davantage, ajouter de nouveaux types de perception, de nouveaux modes de raisonnement, de nouvelles façons de penser ou d’imaginer… »
La découverte par Christophe Colomb, il y a cinq siècles, du « Nouveau Monde » laissera place à une découverte plus incroyable encore : celle d’un monde perdu dans l’oubli des distances et des longueurs de temps, l’émergence historique inouïe d’une ville-monde, ville des villes issue de la contraction tellurique des télécommunications. »

Paul Virilio. Légende du siècle, 8 avril 1992.

La suite. En 92 les propos que tenait cet observateur étaient tout au plus considérés comme de la science-fiction. Ou au mieux pris pour une utopie concrète à peine compréhensible. Pourtant bien utiles aujourd’hui pour saisir et comprendre la rapidité de la transition. Qui laisse des traces question contraction. Car constat vingt ans après: c’est devenu la banalité. Donc la réalité. Le réel ordinaire. Mais pour une part. Pour l’autre, ignorée alors, elle s’est révélée tôt. En tout début XXIème. En juillet 2008. Par un choc: le prix du baril de pétrole à 147 dollars. Depuis la cherté de l’énergie frappe le pouvoir d’achat. (Notons au passage que dans ces Chroniques-ci, dès l’été 2008, cette onde de choc sur les marchés de l’énergie (carburant et bitume) et des matières premières fut abordée en détail. Nulle prophétie, seulement en connaissance de cause, par l’analyse des marchés suite aux appels d’offres de fournitures et services).

Depuis les Etats se voient ratiboisés. C’est beaucoup moins drôle. Faut dire, les banques sont passées par là en extorquant largement des caisses des Etats, leurs billes perdues dans la spéculation. D’ailleurs tout a l’air florissant de ce côté. Depuis les sociétés s’abîment par l’hypercompétition et les dérèglements du capitalisme. Depuis la raréfaction des énergies fossiles et la fonte des glaces quoique pressenties en 92 sont devenues un souci immédiat. Non, même en l’imaginant, le modèle de développement -y compris avec Echirolles, et Mediator- n’aurait pu nous apparaître, il y a vingt ans, autant cabossé et cul par dessus tête tel qu’il l’est devenu. Alors, ça grésille un brin.

Alors? Alors, dans le contexte actuel, la pensée va vers le brouillard. Sale période. Mais, à l’exemple des prédictions avérées de Virilio il y a vingt ans, certains esprits intuitifs discernent dans le brouillard quand même assez bien les choses et la direction à prendre. Quand tant d’autres parlent beaucoup pour ne rien dire, ça donne le vertige. Considérant que de nos jours, ce brouillard à tailler à la hache, est d’une épaisseur qui nous oblige tous à partir à l’aventure à tâtons sinon à l’aveuglette pour une épopée où toute indication de chemin sera la bienvenue.

Ainsi, ferait-on bien d’entendre les bons conseils et tuyaux d’un penseur lucide des plus informés et plus clairvoyants, l’un des rares qui associent l’énergie et l’information dans une économie fondée sur le partage, présent à Rennes, dimanche dernier, pour inaugurer Viva-cités, cet événement à l’initiative de Rennes-Métropole qui vise à mobiliser grand public, artistes, scientifiques, sociologues, etc. sur les projets et les politiques publiques. Cela se tient jusqu’au 7 octobre.

Jeremy Rifkin, une sommité mondiale dans les domaines de l’évolution des sociétés en qualité de spécialiste de prospective (économique et scientifique), auteur de best-seller, conseiller auprès de l’Union européenne sur le changement climatique et la sécurité énergétique, conseiller de la chancelière allemande Angela Merkel, y a plaidé en faveur des énergies renouvelables qui, selon lui, pourraient créer des millions d’emplois dans le monde, en ramenant la croissance économique dans les pays fortement endettés et aider à combattre le changement climatique dans le même temps.

Utopie ? Clairvoyance? Il indique que l’Allemagne a montré la voie en créant près de 250.000 emplois dans le secteur d’ énergies renouvelables en seulement quelques années, mais pourrait faire davantage . Ce pays obtient maintenant 20 pour cent de son électricité à partir de sources renouvelables comme l’énergie éolienne et solaire, et est sur la bonne voie pour 35 pour cent d’ici 2020.

Pour Rifkin la crise de la zone euro n’est pas un problème isolé qui frappe seulement l’Europe. Pour lui, en Europe, et plus largement, il nous faut rentrer dans l’ère post-carbone. Le temps du pétrole et des combustibles fossiles de l’ère industrielle, c’est fini. S’ouvre une transition économique, écologique et humaniste.

« La crise de l’euro fait partie d’une crise plus vaste. Nous sommes à la fin du jeu pour l’ère industrielle basée sur les combustibles fossiles. Chaque fois que l’économie mondiale fondée sur les combustibles fossiles augmente, les prix montent, le pouvoir d’achat diminue et l’économie va s’effondrer.  » dit-il.

Dans son dernier livre, La Troisième Révolution Industrielle, Rifkin propose une feuille de route. Comme, selon la formule de Virilio, l’on peut, en prolongeant certaines tendances technologiques, en deviner l’aspect à venir, pour lui, c’est démultiplication et partage sur le modèle internet. Car des centaines de millions de personnes peuvent produire leur propre énergie verte dans les maisons, les bureaux, les usines. Puis en ligne, par internet, gérer leurs réseaux d’énergie.

Il cible : il y a 200 millions de bâtiments dans les pays de l’Union Européenne dont on a la possibilité de les transformer en micro-centrales au cours des 30 prochaines années. Qui permettraient le partage des énergies renouvelables sur le modèle des échanges de données sur internet. C’est pour lui la solution pour l’UE et toutes les autres régions du monde.

A quoi l’on répond: d’accord. A la condition d’une reprise en main publique du secteur bancaire. Normal, c’est un drôle de coco.

Nous vous proposons d’écouter ici l’entretien que Jeremy Rifkin nous a accordé à l’occasion de sa conférence, tenue au Liberté à Rennes, sur le thème « La troisième révolution industrielle ».

D.D


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